Colloque de l'observatoire de la biographie historique.
Nouveaux dossiers, nouvelles biographies : l’ouverture des archives soviétiques 
par NICOLAS WERTH, chargé de recherche au CNRS, IHTP  

Compte-rendu réalisé par Françoise FERNANDEZ, responsable du département Histoire-Géographie, IUFM de Clermont. 
http://crdp.ac-clermont.fr/pedago/histgeo/7anime/colloques/blois2000/index.htm

 

L’ouverture de certaines archives de l’ex-URSS  modifie-t-elle les biographies des acteurs du régime ?

INTERVENTION DE NICOLAS WERTH

En soviétologie, une grande partie de la production historique oscille entre hyperpersonnalisation ( l’histoire ne s’explique que par la personnalité de quelques grands acteurs) ou hyperconceptualisation autour des critères de définition du totalitarisme. « C’est l’étrange paradoxe de ce système …qui personnalise » selon les termes de François Furet. L’importance du genre biographique est à cet égard exemplaire quant à ses centres d’intérêt : Les fichiers de la Bibliothèque Nationale à Paris recensent 102 bios de Lénine, 120 de Staline, 50 de Trotski, 20 de Kroutchev, 2 de Béria, 1 de Kirov mais aucune de Molotov, de Kaganovitch, d’Ordjonikidsé ni de Drejenski. L’équivalent de la Bibliothèque Nationale à Moscou reflète la même orientation avec , il faut le souligner, l’absence totale de biographie consacréeàTrotski.

Les études des historiens occidentaux se sont, jusque là, elles aussi limitées aux dirigeants de premier plan, souvent comme un passage préliminaire à toute autre étude, ainsi pour reprendre les termes du débat de l’historiographie allemande des années 1980, entre une analyse intentionnaliste qui imputerait à Staline l’entière responsabilité des crimes commis, ou bien une approche fonctionnaliste, qui dégagerait sa responsabilité et l’imputerait au système et à sa dynamique propre .La tendance est globalement la même aussi chez les historiens anglo-saxons ; cela résulte en fait de l’état des archives alors consultables. On ne disposait alors que des déclarations publiques, des discours officiels rapportés par la presse, les archives disponibles étaient très rares en dehors du fonds Trotski aux USA, des archives de seconde main  parfois hasardeuses émanant de réfugiés et d’opposants qui alimentaient toute une littérature parahisthorique (les mémoires de la fille de Staline). 

L’entre ouverture récente des archives pour la période ne dépassant guère 1956 n’est pas une source de révélations spectaculaires : on ne repart pas de zéro. Le classement des archives soviétiques n’obéit pas à la même logique que le classement français : les documents sont classés en fonction de leur importance stratégique et conservés en des lieux différents en fonction de leur confidentialité : il y a ainsi deux fonds Staline, celui du Parti (accessible) et celui de la présidence(inaccessible). En ayant accès au fonds du Parti, on comprend mieux  comment travaillaient les dirigeants, où et comment se prenaient les décisions. De nombreuses correspondances entre dirigeants ont été publiées ainsi celle entre Staline et Molotov ( un seul ouvrage en a été traduit en français et publié au Seuil sous le titre « Le cercle du Kremlin et le Politburo »). Ces correspondances, nombreuses depuis la station balnéaire de Sotchi et Moscou par exemple, ont corrigé deux visions canoniques du pouvoir, d’abord qu’il n’y avait pas chez Staline de plan à long terme d’élimination des bolcheviks d’une part et d’autre part qu’il n’était pas responsable directement de l’assassinat de Kirov. Elles mettent en lumière combien Staline avait imposé sa logique de clan et comment jusqu’en 1937 il était l’arbitre incontesté du Politburo. C’est bien de lui qu’émane en 1932 la loi du 7 août qui punit de mort ou de dix ans de camps de déportation tout viol de la propriété soviétique. Staline commande, les autres exécutent et le système dans ses moindres rouages répercute. Il y a là semble-t-il une différence avec le pouvoir hitlérien d’essence plus charismatique mais reposant sur une organisation de l’Etat plus floue, donc capablke de prendre d’avantage de distances avec les ordres du pouvoir central.

La consultation des agendas de Staline a démoli  deux légendes, celle d’un Staline dépressif et inactif lors de l’invasion allemande de juin 41 d’une part, celle d’un alcoolique coupé du monde à la fin de sa vie, cette dernière largement alimentée par sa fille Sveltana et Milovan Djilas le dirigeant yougoslave. En effet l’étude des agendas montre aux deux périodes une intense activité, de multiples rendez-vous dans le premier cas, jusqu’à 18 heures par jour, et dans le second cas une présence encore très active jusqu’à sa fin. Ces carnets éclairent aussi la place des seconds rôles comme Kirov, Ordjonikidsé, Béria, les rouages de l’administration centrale…

Actuellement se mettent en chantier des prosopographies, sur les cadres du Parti par exemple, le NKVD, les diplomates, les directeurs de camps….On a aussi accès à des archives régionales du Parti, les seules connues jusqu’alors étaient celles du Parti de Smolensk que les Nazis avaient rapatriées à l’ouest en 45 et qui sont conservées aux Etats-Unis. 

Au moment de la chute de l’URSS de grandes spéculations ont été faites à propos du fonds Lénine : le 56°tome de ces archives est traduit et publié par les historiens américains, Loguinov, historien russe en a réalisé l’édition critique : les inédits renforcent le caractère cynique, impitoyable du personnage, ils dévoilent aussi quelques secrets biographiques comme ses origines nobles, sa liaison avec Mme Armand jusqu’en 1920, les subsides allemands qu’il reçut en 1917 et 1918, le fait qu’il voulait faire de la Pologne de 1919 une tête de pont de la révolution en direction de l’ouest. De même, il tient en 1921 des propos d’un rare cynisme « il faut frapper l’Eglise en profitant de la grande famine qui règne en Russie ». 

Il n’y a pas de renouveau de la biographie en Russie depuis l’ouverture des archives mais plutôt un renouveau  de l’histoire sociale et du politique, au niveau des différents échelons de la décision. Aujourd’hui  les archives sur lesquelles on travaille se trouvent à Moscou, aux Etats-Unis sous forme de millions de microfilms, à Amsterdam. La BDIC à Paris dispose par ailleurs d’un fonds exceptionnel de journaux et de publications. On a accès par exemple à des masses énormes de biographies, à différentes étapes de leurs vies, des membres du parti communiste. Elles ont une forme canonique ( comme les lettres de rémission !) et portent sur l’origine sociale des parents, des arrière grands parents , ce qui permet de grandes typologies au moins jusqu’en 1956

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