Winston Churchill entre
histoire et légende |
Compte-rendu
réalisé par Françoise FERNANDEZ, responsable du département Histoire-Géographie,
IUFM de Clermont.
http://crdp.ac-clermont.fr/pedago/histgeo/7anime/colloques/blois2000/index.htm
Churchill entre histoire et légende
Intervention
de François Bédarida
Churchill
occupe une place spéciale dans la mémoire des français, un sondage SOFRES il
y a quelques années le plaçait en tête des leaders politiques étrangers
admirés par les français, son aura dépasse largement le personnage
historique, personnage au destin fascinant à plus d’un titre, au pouvoir
charismatique si l’on se réfère à la période de la deuxième guerre
mondiale, mais aussi individu égocentrique, ambitieux, versatile, émotif, entêté,
en un mot complexe
On
connaît le personnage à travers une biographie fleuve de 15000 pages, complétée
par la publication de 15000 documents !
et pourtant !
La
légende : elle est double.
-c’est
le mythe du sauveur de la Grande Bretagne, véhiculé de son vivant et après sa
mort, auquel il a personnellement contribué en soignant son image « on écrira
l’histoire comme je l’entends, car c’est moi qui l’aurai faite ! ».
Ses funérailles en 1965 firent l'objet d'un deuil national, d'une mise en scène
grandiose, par un défilé du cortège funèbre de la cathédrale Saint Paul au
Parlement, puis le cercueil partit
de la gare de Waterloo pour Bladoon près de Blenheim Palace, berceau de sa
famille et seul château anglais à avoir le privilège de porter le nom de
palais à l’égal des palais royaux, berceau de la descendance des
Marlborough. En tête du cortège marchait de Gaulle au milieu de nombreux
autres chefs d’État. C’était tout un symbole à un moment difficile de
l’histoire britannique où la puissance économique, diplomatique était en
recul, où le pays venait d’être rejet é du projet européen ; il
y avait là aussi comme un deuil national d’une certaine grandeur défunte qui
d’une certaine manière nourrit aussi la légende de Churchill dans l’esprit
de son entourage, de beaucoup d’anglais mais aussi de beaucoup de français.
La
légende est remise en cause par deux types d’approches :
Une
légende noire est véhiculée par une pièce de théâtre dont l’auteur
s’en est pris aussi à l’attitude de PieXII pendant la guerre, et qui rend
Churchill responsable des bombardements et des dévastations des villes
allemandes, particulièrement de Dresde et qui le qualifie de criminel de
guerre. C’est aussi le point de vue de l’historien David Hurvil, adversaire
passionné de Churchill qui le voue à l’enfer comme Hitler et Staline. Un
autre historien, John, Chorn, essaie de démontrer
que Churchill est aux origines de la décadence de la Grande Bretagne en
ayant poursuivi la guerre en 40 et refusé les propositions de paix d’Hitler.
D’autres
mises au point plus fondées ont mis en avant des aspects plus discutables de
Churchill : s’il fut toujours lucide par rapport au péril nazi avant
guerre, il soutint Franco de 36 à 38 et ne s’émut pas outre mesure des
agressions japonaises, se montra clément longtemps avec Mussolini.
La vie de Churchill : les deux vies de Churchill si l’on pense qu’il n’est devenu premier ministre qu’à 64 ans !
La
première partie de sa vie est moins connue. Il fit ses études à Sandurst
comme officier de cavalerie, ce qui le conduisit à participer à différentes
actions dans l’armée des Indes en particulier le long des confins afghans. Il
y fut à la fois militaire et journaliste, vendant ses chroniques aux journaux.
Il participa aussi à des opérations au Soudan à la tête de ses lanciers, en
Afrique du Sud lors de la guerre des Boers où fait prisonnier quelques jours,
il réussit à s’évader et à gagner
le Mozambique ce qui fut salué comme un véritable exploit en son temps.
Lorsqu’il
se lance dans la politique, c’est au sein du parti conservateur qu’il lâche
rapidement pour passer chez les libéraux, ce qui le fait détester par l’un
et l’autre camp ! Son ascension politique est régulière, de secrétaire
d’Etat aux colonies, à ministre de l’Intérieur puis Lord de l’Amirauté.
il est comme le jumeau de Lloyd George son contemporain. En 1915 il ordonne une
désastreuse opération aux Dardanelles à la suite de laquelle il quitte le
gouvernement. Il s’engage alors et combat courageusement quelques mois sur le
front franco-belge, il est à nouveau ministre en 1917, battu aux élections de
1922, puis réélu aux Communes dans les rangs des conservateurs. Chancelier de
l’Echiquier de 1929à 1939, il accumule les erreurs : il soutient Edouard
VIII, est hostile à toute ébauche de négociation avec l’Inde.
Pendant
la période il fait preuve d’une intense activité éditoriale, il est
l’auteur de près de 15000 pages, reportages historiques, livres d’histoire
dont la biographie de son père en deux tomes, et celle très hagiographique de
son ancêtre le duc de Malborough, en six volumes une histoire »de la
guerre mondiale et de son déroulement ». « Donnez moi les faits,
disait-il, je les arrangerai à ma guise ! » .Il écrit aussi
« Les peuples de langue anglaise » qui sera publié dans les années
50.
Après
la deuxième guerre mondiale il est le seul des quatre grands du conflit à
publier ses œuvres(exit Hitler et Mussolini, silence de Staline), de Gaulle à
un rang bien moindre ne commence
les siennes qu’à partir de 1953
Le
débat historique et la controverse : autour de quelles problématiques ?
Churchill fut-il un bon stratège ? et en particulier dans ses relations avec les américains
Les
conflits furent rudes entre eux pendant la période 42-44 : Churchill était
partisan d’un débarquement en Norvège du nord, il avait même envisagé
l’utilisation de certains icebergs comme porte-avions ! ! ! ce
qui semblait assez chimérique. En revanche lors d’Overlord, son idée de création
de ports artificiels le long des côtes du Calvados fut un succès
comme l’action subversive des SOE du colonel Buckmaster, qui parachutés
en mission derrière les lignes ennemis apportèrent avec pragmatisme une aide
non négligeable aux mouvements de résistance en France, en Yougoslavie, en
Italie. De même sa foi dans la guerre des codes qui permit grâce à des
polonais réfugiés en Angleterre de déchiffrer les codes allemands, de
conduire des actions de contre espionnage efficaces. Il réussit aussi à
convaincre les américains de la nécessité d’ouverture d’un front méditerranéen
en Italie.
Churchill
et de Gaulle ?
Leurs
relations furent bonnes de juin 40 jusqu’au milieu 41, de première importance
pour de Gaulle et la France libre, elles devinrent plus complexes ensuite en
particulier sous l’influence des américains qui misèrent longtemps sur
Giraud.
Churchill
et l’Empire ?
Churchill
est l’homme d’une catégorie sociale, un d’un temps qui connut le jubilé
de Victoria, l’apogée de l’Empire, temps d’une totale bonne conscience de
la mission colonisatrice de l’Europe. Alors hors du gouvernement, il tonna
contre l’indépendance accordée à l’Inde, puis en 1956 contre l’évacuation
du canal de Suez en 56
Malgré
l’abondante production sur le personnage, il reste malgré tout difficile à
cerner. Il fut toute sa vie un
victorien égaré dans la modernité du XX° siècle, un patriote intransigeant,
qui suscita souvent une certaine incompréhension et à qui l’on pourrait
appliquer la formule qu’il utilisait pour qualifier l’URSS : « un
casse-tête entouré de mystère à l’intérieur d’une énigme. »