Le
féminisme, une utopie ? |
Compte-rendu
réalisé par
Christine COLARUOTOLO (journal
La Durance)
Journal La Durance : http://ww2.ac-aix-marseille.fr/histgeo/Default.htm
Longtemps
"invisibles" "dans le
miroir de l'Histoire", leur histoire étant "longtemps
écrite[…] avec de l'encre incolore"[1],
les femmes apparaîtraient-elles enfin "visibles" c'est-à-dire sujets
à part entière du devenir humain ?
Cette
question a été largement débattue, lors des derniers Rendez-vous
de Blois, notamment lors de la conférence prononcée par l'historienne Michèle
Riot-Sarcey sur "l'histoire conflictuelle" du couple féminisme et
utopie. Utopie et réel étant étroitement liés selon elle.
D'ordinaire,
la réflexion sur les 150 ans qui séparent l'acquisition du droit de vote pour
les hommes et les femmes est présentée comme une énigme.
Il
s'agit pour la conférencière de comprendre cette dissymétrie.
Michèle
Riot-Sarcey dresse pour cela un panorama du processus qui, de la Révolution
française à nos jours, maintient les femmes à l'écart de la loi générale
et des droits communs.
Remontant
à la Révolution française, la conférencière s'attache tout d'abord à
souligner les liens entre les représentations
collectives, politiques et la construction des catégories sociales.
Le
30 octobre 1793 Amar, rapporteur du Comité de la sûreté générale institué
par la Terreur, défend l'exclusion des femmes du politique, au nom de leur
faiblesse naturelle.
Dés
cette période, il existerait d'un côté des droits naturels (égalité, liberté)
qui transcendent les différences et de l'autre des différences naturelles qui
elles ne peuvent être transcendées.
Individus
incomplets, les femmes sont mises
à l'écart du droit commun et notamment du droit de cité. Est née alors la
catégorie " femmes ", définie par leurs fonctions naturelles et
investie du rôle spécifique de reproductrice, à qui l'accès à l'universalité
des droits est rendu impossible.
Le
XIXe siècle renforce et légalise la hiérarchie des sexes qui assigne à
chacun
Le
Projet de loi portant défense
d'apprendre à lire aux femmes (1801) de Sylvain Maréchal, cité par la
conférencière, est représentatif de l'esprit du temps.
Ce
texte repose sur deux concepts clés : la nature et la raison.
Cet
ouvrage dans lequel la différence de sexes, est dite créée par la nature,
postule pour un usage différent de la raison selon les sexes.
Cantonnées
dans le domaine privé " les femmes
continuent de renoncer au droit de
cité dont elles ne sauraient remplir les devoirs" (Art 55).
Selon
Michèle Riot-Sarcey, cette différence des sexes a servi de prétexte à
l'exclusion des femmes, infériorisées par le code civil et réduites, au cours
du XIXe siècle, aux seules fonctions compatibles avec leur "nature ".
En
1880 la loi Camille Sée, également
évoquée par la conférencière, ouvre le lycée aux filles pour leur donner un
enseignement laïque qui correspond aux attentes de la République. Il s'agit
avant tout de former des mères capables d'éduquer de futurs citoyens, les matières
nobles (latin, grec, philosophie) étant réservées aux hommes.
Au travers de cet exemple, la conférencière souligne que l'école publique est impensée et non interdite aux filles. Cette mise à l'écart des femmes n'ayant pas besoin de la loi.
Victimes
des représentations collectives, les femmes ne sont pas représentées.
De
la Révolution française à la démocratie représentative des Républiques du
XIXe siècle, les principes d'égalité et de liberté, instrumentalisés,
"ont été mis au service des privilégiés
de la représentation politique toute tendance confondue" ajoute Michèle
Riot-Sarcey.
N'est-ce
pas au nom du socialisme que Proudhon récuse, en 1849, la candidature d'une
femme, Jeanne Deroin, pour seule raison qu'elle est femme ?
La
représentation politique a toujours été pensée au masculin.
Que
l'universel soit strictement masculin ne trouble pas les consciences !
L'ensemble
du système représentatif repose, selon la conférencière, sur le
"socle mouvant de l'exclusion de l'autre et plus particulièrement des
femmes".
"
L'exclusion des femmes a donc été quasiment incluse dans la victoire de la République
et de la Démocratie".
Michèle
Riot-Sarcey invite aussi à repenser et
à prolonger l'histoire conflictuelle du mouvement ouvrier et du mouvement féministe
avec deux exemples à l'appui.
Le
premier exemple rappelle l'hostilité, en 1866, de la section française de
l'Internationale, au travail des femmes. Ceci va à l'encontre de la décision
du congrès de l'Internationale de Genève qui admet, en son sein, leur présence.
L'affaire
Couriau, est également citée par la conférencière qui évoque l'histoire de
ce typographe exclu en 1913 de la section lyonnaise du syndicat pour ne pas
avoir interdit à sa femme de travailler dans un métier du livre.
Michèle
Riot-Sarcey souligne aussi l'impossible
conciliation entre émancipation collective et liberté individuelle. Car on
ne peut envisager, selon elle, d'émancipation par affranchissement. Devenir
sujet est une démarche individuelle qui nécessite de se dégager de toute
tutelle du père et/ou du mari.
Des
utopistes comme Fourrier ont remis en cause la famille en tant que bastion de
l'ordre
social allant ainsi à l'encontre d'un des fondements de la République de 1848.
Ceci
explique la lenteur du processus qui conduit à l'universalisation des droits.
L'obtention
de la capacité civile de la femme mariée est acquise en 1938, le mari restant
le chef de famille. Il faut attendre l'année 1965 pour que les femmes puissent
bénéficier de la libre administration de leurs biens personnels et du libre
exercice d'une profession.
Pour
accéder à la représentation sociale, les femmes doivent passer par les représentations
collectives et empruntent différentes voies. Cécile Brunschvig, nommée
sous-secrétaire d'Etat par Léon Blum en 1936, choisit la voie politique pour
accéder à la reconnaissance sociale. Avec la nomination de femmes au
gouvernement, le Front Populaire fait l'économie d'une réflexion sur
l'exclusion des femmes en politique.
Entre
la nécessité d'avoir accès au droit commun et le besoin d'exister socialement
la femme accède aussi à la reconnaissance sociale par la voie du différentialisme
: la féminité.
Cette
idée développée par la conférencière est reprise par l'historienne Joan
Scott.
Cette
dernière démontre le
"paradoxe" entre l'affirmation de cette différence
et dans le même temps son refus
dénoncé "au nom des effets
d'enfermement et d'assignation à une nature dont elles soulignent justement
l'historicité"[2].
La
confusion entre identité et égalité est, encore telle à l'heure actuelle,
qu'il a fallu une loi particulière pour permettre aux femmes d'accéder au
droit politique. Alors pourquoi avoir choisi la parité, parité qui s'est
substituée à l'égalité ? interroge Michèle Riot-Sarcey.
La
question actuelle de la parité est révélatrice selon la conférencière.
Bien
que les femmes aient accédé, à la Libération à la citoyenneté électorale,
soixante ans après elles sont toujours exclues des institutions. Le problème
demeure de faire accéder leurs particularités à l'universalité.
"
Comment ne pas comprendre que l'inscription, dans la Constitution, d'une parité
entre les sexes sanctionne l'échec de l'égalité par une légitimation de la
différence de nature, reconnue dans l'exercice du pouvoir de représenter"
demande la conférencière.
Pourtant
avec le second sexe (1949) de
Simone de Beauvoir " nous sommes
entrées dans la voie de la liberté possible" précise Michèle
Riot-Sarcey.
L'accès
des femmes à la maîtrise de leur corps et au pouvoir sur la reproduction,
dans les années 1970, marque une véritable rupture qui bouleverse les
rapports des sexes.
Depuis,
une ouverture est permise vers le devenir de l'individualité.
Les
femmes osent réclamer au nom de l'universalité réelle souligne la conférencière.
Le
féminisme, utopie d'hier ? d'aujourd'hui ? Utopie de demain ?
Le
féminisme a été et reste encore une utopie selon Michèle Riot-Sarcey qui
conclut son intervention par une citation de Condorcet :
"[…]
les droits des hommes résultent uniquement de ce qu'ils sont des êtres
sensibles, capables d'acquérir des idées morales et de raisonner sur des idées.
Ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux.
Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont
les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d'un autre, quels que soient sa
religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. "
Condorcet,
Essai sur l'admission des femmes aux droits de cité.1790.
[1] Arlette Farge, l'Histoire sans qualité, Galilée, 1979.
[2] Joan Scott, La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l'homme, Paris Albin Michel, 1998.
Christine COLARUOTOLO |