Débat : Les étrangers dans la Résistance
 
Débat animé par Y. BELASKRI

Autres participants :
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Denis PESCHANSKI (CNRS)
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Geneviève ARMAND-DREYFUS

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean 

Cette question pose le problème de la place des étrangers en France (cf le premier tour des présidentielles 2002) et des émigrés.

D. Peschanski : l’engagement des étrangers dans la Résistance est assez massif, mais celle-ci est elle-même un phénomène minoritaire; cependant le pourcentage des étrangers par rapport aux nationaux est important. Cela s’explique par des raisons internes et externes. En effet, les étrangers subissent des contraintes extérieures avec le statut fait aux étrangers depuis la moitié des années trente puis l’Occupation. La crise exacerbe la xénophobie. La crise de l’identité nationale, l’atomisation de la société française, la perte des repères, la destruction du ciment républicain qui faisait que les Français se retrouvaient autour de valeurs partagées, héritées de la Révolution Française, entraînent le repli et le rejet, tout spécialement contre les étrangers, les juifs et les communistes : les trois rejets se font écho et sont imbriqués dans la conscience de la population. La montée des périls met les étrangers au cœur de ce rejet. Il devient systématique avec la victoire allemande et Vichy. Pour Vichy, la défaite s’explique non par des raisons militaires mais par des origines profondes : le pourrissement de la société française (terminologie traditionnelle depuis l’affaire Dreyfus), et par le complot fomenté par les forces de l’anti-France (juifs, étrangers, communistes et francs-maçons). L’Occupation est la conséquence et non la cause; il ne faut donc pas lutter contre elle mais trouver la solution par la régénération de la société française (travail famille, patrie) et par l’exclusion de ce qui est impur (juifs etc…). L’étranger est donc en situation de rejet dans la société française.

Il y a aussi des raisons internes à l’engagement des étrangers dans la Résistance : l’immigration est économique (Espagnols, Italiens, Polonais) mais également politique (les Italiens dès les années vingt, les Allemands, les Autrichiens, les gens venant d’Europe centrale…, ainsi que les juifs qui fuient les persécutions) : ces étrangers ont déjà l’expérience du rejet et ont donc une motivation particulière. De plus, la guerre d’Espagne en février 39 a causé la fuite de 500 000 personnes fuyant les troupes franquistes. Parmi ceux qui restent, beaucoup sont de futurs résistants qui continuent la même guerre, commencée non en 39 pour eux mais en 36.

Mais tous les étrangers n’ont pas été résistants : il ne faut pas simplifier. Cependant, il forment une part importante de la Résistance. Quand on reconstitue la société française à partir des valeurs républicaines à la Libération, les événements retrouvent toute leur place. Cela passe par l’effacement ou la minoration des spécificités nationales.

G. Armand-Dreyfus : le rôle des républicains espagnols dans la Résistance est important car il y a une continuité. Après la chute de Barcelone, la fuite générale de la population et de l’armée républicaine, à la fin de janvier 1939, conduit 500 000 personnes (jamais il n’y avait jamais eu un tel exode) à se masser à la frontière française, ouverte par étapes. En effet la France est le seul pays démocratique à cette époque. Ils sont les premiers à expérimenter les camps décidés par le Front Populaire pour les étrangers non protégés par leur état d’origine. Ce sont des camps improvisés (Argelès, Bacarès…). Malgré cet « accueil », très rapidement les républicains espagnols reconstituent leurs organisations et, lors de l’Occupation, ils prennent la défense de la France et entrent dans la Résistance. Ils sont enrôlés dans les Travailleurs étrangers, chargés de la ligne Maginot et de l’entretien des camps militaires. Ils ont aussi un engagement militaire volontaire, dans la Légion étrangère par exemple; pendant quelques mois, ils ont été désorientés : ils étaient déçus par la patrie des Droits de l’Homme et donc leur engagement dans la Résistance n’a pas été immédiat mais il a été spontané car pour eux, c’était le même combat qu’en Espagne. Ils intègrent des mouvements français de résistance, les FTPMOI, des réseaux clandestins de passage des Pyrénées (avec les services secrets alliés), des mouvements armés dans le grand sud-ouest (ils prennent une part active dans la libération de cette région : Gard, Lozère, le combat des Glières…). Leur action est donc multiforme et diverse.

D. Peschanki : souligne la forme spécifique de la résistance espagnole, qui avait une cohésion très forte. Les résistants espagnols intègrent des mouvements spécifiques (MOI par exemple) ou des mouvements français (le Musée de l’homme par exemple). Plus l’intégration était avancée, plus ils s’engageaient dans des structures à dominante française. La Résistance est intérieure et extérieure avec l’armée de Leclerc (les chars de la 2° DB portent des noms de villes espagnoles car ils sont conduits par des républicains espagnols). L’action est faite de guérilla (urbaine, en dehors des réseaux) et de propagande (publications clandestines, renseignements pour les Anglais ou les Soviétiques) mais aussi de résistance de sauvetage pour sauver les juifs. Une tension existe entre la volonté d’intégration dans la société française et l’affirmation d’une spécificité. Les mouvements offrant les deux aspects ont été les plus suivis : par exemple les communistes qui avaient créé avant guerre la main d’œuvre étrangère, structurée politiquement. C’est une structure intégrée dans la société française mais avec le respect des nationalités : il y a des structures yiddish, italiennes…

G. Armand-Dreyfus : la propagande joue un rôle important : les journaux sont nombreux; ils sont l’expression et les catalyseurs de l’action résistante. Les Catalans apportent des renseignements considérables aux Alliés. Leur but est de renverser le franquisme; ils sont donc indépendants par rapport aux organisations françaises et leur action s’est poursuivie après la guerre. Leur intégration s’est faite peu à peu, malgré eux, grâce aux liens tissés pendant la Résistance. Leur exil était considéré comme provisoire.

D. Peschanski : la répression est la clé pour décrypter l’histoire de la République. Cette histoire est scandée par les coups de la répression qui faisait disparaître des pans entiers de la Résistance. Prenons l’exemple de l’affaire Manouchian (FTPMOI de la région parisienne, communistes ou rattachés aux communistes). A partir de la fin 42, ils sont les seuls à lutter (guérilla urbaine) en région parisienne; les autres ont été arrêtés. Ils sont 65, y compris le renseignement, le service médical, les faux papiers etc…, face à toute la police parisienne, dont deux brigades spéciales (200 inspecteurs). La MOI a été cassée par trois séries de filatures de plusieurs mois par la police française. Ce sont des étrangers qui se battent pour la France et qui sont pris et torturés par des policiers français qui les livrent aux Allemands. Cela crée un problème de mémoire : il faut assumer la contribution française à la répression.

Y. Belaskri : par la suite, on a oublié le rôle des étrangers jusque dans les années quatre-vingt.

D. Peschanski : l’oubli des différences fait que les étrangers avaient leur place dans la reconstruction de la société, mais comme Français ou intégrés à la société française. On n’a donc pas oublié leur rôle mais ils ont perdu leur spécificité d’étrangers. Ils poussaient eux-mêmes dans ce sens : stigmatisés autrefois comme étrangers, ils réintègrent le cœur de la société française par la mise en sommeil de leur différence. Une nouvelle fracture s’est produite plus tard, il y a quinze-vingt ans. La reconnaissance de la spécificité de la résistance étrangère, juive et française dans sa diversité accompagne la réapparition d’une crise d’identité nationale, la perte des repères et le sentiment d’appartenance à des valeurs partagées, accompagnés par l’affirmation d’un communautarisme fort. Ce communautarisme est-il un obstacle ou non à la constitution d’une identité commune autour de valeurs républicaines héritées de la République Française ? C’est une question très importante, qui concerne le modèle d’intégration à la française.

QUESTIONS :

D. Peschanski rappelle la légende rose qui veut que l’opinion était majoritairement contre l’Occupation et pour la victoire de l’Angleterre. La légende noire ne tient compte que des chiffres de la Résistance. Dans les deux cas, l’analyse est erronée.

            G. Armand-Dreyfus : face à 500 000 étrangers, la France était débordée malgré son arsenal juridique. De plus, il y avait la montée des périls. Cela explique son attitude envers les étrangers.

Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

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