Les entretiens pédagogiques de l’APHG : Enseigner … « L’Etranger »
Débat animé par B. Phan avec M. Guillon, P. Kerleroux, R. Schor et E. Till..

Voir d'autres
CR

Compte rendu réalisé par Daniel TRAEGER

            Après avoir fait rapidement le point sur la question, les participants proposent quelques pistes de réflexion tant en collège qu’en lycée pour aborder cet important sujet d’étude avec les élèves.

            M. Guillon directrice de la Revue Européenne des migrations internationales se propose de mettre en valeur quelques points sur les étrangers en France et les migrations internationales dans le monde :

 M. Guillon présente tout d’abord l’état des migrations internationales pour la décennie 90-2000 mesuré par les organismes internationaux. Les flux en direction des pays riches restent majoritaires mais 40% des personnes résidant dans un pays où elles ne sont pas nées, vivent dans un pays du Tiers Monde.

            La mobilité internationale reste comparable à celle des années cinquante et concerne un faible pourcentage de la population mondiale. Le premier pôle récepteur reste l’Amérique du Nord (E.U, Canada) suivi de près par l’U E. Les pôles secondaires son l’Australie, la Nouvelle Zélande, les pays du Golfe Persique ainsi qu’une partie de l’Asie orientale (Japon, Corée du Sud, Singapour, Malaisie)

            L’Europe reste donc un carrefour migratoire. Mais alors que jusqu’en 1975, la France apparaissait comme un pôle récepteur de premier importance, elle est loin de nos jours derrière l’Allemagne, les pays méditerranéens ( Espagne Italie ,Portugal) et même l’Irlande. Cela dit ,elle conserve, à cause de son histoire, une importante population d’origine étrangère. Le nombre d’étrangers arrivant en France est évalué à 100 000 par an et il y a environs 100 000 naturalisations par an soit des chiffres comparables aux années 1937-38; a ces naturalisations s’ajoutent les jeunes d’origine étrangère qui deviennent Français à leur majorité parce qu’ils sont nés sur notre territoire. Le nombre d’immigrés présents en France tend à diminuer  et n’est pas compensé par de nouveaux arrivants. Ceux ci viennent surtout au titre du regroupement familial (conjoint; plus rarement parent isolé), soit en tant que réfugiés, étudiants prolongés ou comme professionnels qui s’installent. Enfin les couples migratoires traditionnels n’existent plus (Zaïrois en Belgique ou Turcs en Allemagne). On va trouver de plus en plus d’Indiens à Paris même si ils transitent toujours par l’Angleterre, quant à l’immigration chinoise qui s’appuie sur des réseaux anciennement implantés, elle est présente partout en Europe. Enfin une part croissante des immigrés actuels sont des travailleurs qualifiés ayant suivi des études secondaires et ce quelque soit l’emploi occupé en France. Ces gens qui maîtrisent l’anglais sont de moins en moins tributaires des réseaux traditionnels. Ils peuvent ainsi élaborer des stratégies individuelles et prospecter dans de nouveaux pays pour ouvrir de nouveaux chemins à l’immigration.

            M. Guillon fait ensuite deux remarques sur la question de l’irrégularité : d’une part ce qui caractérise le discours sur l’immigration c’est qu’il soulève la problème des clandestins; Comme ces clandestins sont par définition hors la loi, ils sont arrêtés ce qui renforce l’impression d’insécurité liée à la présence d’étrangers, d’autre part il est facile de nos jours  d’entrer sur le territoire français car il existe des niches d’emploi pour cela ( saisonniers agricoles, service domestique, confection). Les irréguliers sont cantonnés à ces secteurs, une fois régularisés, ils les quittent et laissent la place à de nouveaux arrivants.

      En ce qui concerne les réfugiés, elle précise que leur présence entraîne une diffusion de l’immigration sur l’ensemble du territoire y compris dans les régions de l’Ouest atlantique jusque là peu concernées par ce phénomène. L’époque où les immigrés se concentraient essentiellement dans quatre régions du territoire semble révolue.

            R. Schor fait ensuite le point sur l’histoire de l’immigration en France. Il souligne tout d’abord l’ancienneté du phénomène (Archers de la garde écossaise, artistes italiens, ingénieurs hollandais etc.…) mais précise que sous l’Ancien Régime ces étrangers sont peu nombreux et possèdent des savoir-faire ignorés des Français. Après 1850,  l’immigration devient massive et fait appel à une main d’œuvre peu qualifiée; On se tourne vers des pays où les populations rurales trop nombreuses sont réduites à la misère comme le Piémont. Le nombre d’étrangers passe de 380 000 en 1851 à 1 330 000 à la veille de la Première Guerre mondiale. Au lendemain de ce conflit, la France amputée d’une partie de ses producteurs et de ses reproducteurs fait encore plus appel à la main d’œuvre étrangère pour relever ses ruines. Cet afflux d’étrangers est renforcé par la mise en place de la loi des quotas aux Etats Unis qui détourne vers la France une partie des flux migratoires en provenance d’Italie et d’Europe orientale. La montée des dictatures génère des flux de réfugiés politiques ( 500 000 Espagnols à l’issue de la guerre civile). Enfin la vie artistique et culturelle parisienne attire des créateurs venus du monde entier. En 1931, 3 millions d’étrangers vivent en France soit 7% de la population.

      En 1945, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets et ce malgré la création d’un Office National de l’Immigration destiné à recruter de la main d’œuvre à l’étranger. Les syndicats sont hostiles , les salaires peu attractifs. Les accords passés avec l’Italie pour faire venir de la main d’œuvre en France ne suffisent même pas à compenser le départ des ressortissants d’Europe centrale fortement incités à regagner la mère patrie par leurs gouvernements respectifs.

            Ce n’est qu’en 1955 que les flux reprennent favorisés par la croissance économique, la pénurie de main d’œuvre et le laxisme des autorités  qui ferment les yeux sur l’immigration clandestine quitte à régulariser jusqu’à 80 % des entrées ensuite! C’est ainsi que de 20 000 Portugais dans les années cinquante, on passe à 750 000 en 1974.  L’immigration d’origine maghrébine n’est pas en reste.

 Le 3 juillet 1974, le gouvernement français décide de suspendre provisoirement cette politique et n’est jamais revenu la dessus depuis. L’immigration se poursuit toutefois quoiqu’à un rythme plus lent.

Après ces mises au point, la question se pose : comment enseigner ces réalités tant en lycée qu’en collège face à des publics composés en partie de jeunes issus de l’immigration ?

E. Till, enseignant dans un collège du XXe arrondissement où cohabitent 28 nationalités différentes précise tout d’abord qu’il convient de simplifier sans tomber dans le simplisme. Il s’agit d’une question de nature interdisciplinaire même si l’enseignant d’histoire, de géographie et d’éducation civique semble plus spécialement concerné. L’éducation civique permet de partir des représentations des élèves pour dégager des concepts. Dès la sixième, le programme d’histoire en introduisant l’opposition grecs/barbares permet d’introduire le problème et de définir déjà ce qu’est une communauté nationale. Dès l’Odyssée on retrouve cette opposition; l’étude de la citoyenneté athénienne pose le problème des métèques.

 Le programme de 4e permet de montrer comment s’est constitué la population européenne et la Nation française et de poser le problème de l’intégration des étrangers dans la communauté nationale au fil des deux derniers siècles. En 3e, on verra comment l’introduction de la citoyenneté européenne engendre un glissement de la notion d’étranger. Enfin on pourra aborder l’évolution des modalités d’acquisition de la nationalité française.

P.  Kerleroux qui enseigne dans un lycée de la banlieue parisienne précise que ce thème peut être abordé à tous les niveaux et que l’ECJS et les TPE permettent d’approfondir. En première et terminale, l’histoire de la colonisation et de l’émancipation des peuples dépendants permet aussi des mises au points enrichissantes. IL convient d’ailleurs de présenter les manifestations racistes et xénophobes comme des sentiments manifestés par toute l’espèce humaine et pas seulement comme un phénomène s’exerçant uniquement vis à vis des gens du Sud. C’est ainsi que l’émirat d’Abu Dhabi a expulsé voila quelques années environs 160 000 asiatiques. Il finit par poser le problème de la surdélinquance des étrangers. On peut en effet en parler en privilégiant une approche intellectuelle du problème et en rappelant que le taux de délinquance des Polonais et des Italiens étaient importants dans les années trente. Il convient aussi de comparer ce qui est comparable; les étrangers commettent des délits inaccessibles aux citoyens français puisqu’un Français n’est jamais un clandestin. Ils stimulent souvent la sévérité des verdicts, soit par leur mutisme soit par leur agressivité. Ils sont plus facilement repérables et plus aisément retenus en prison avant leur comparution devant le juge. Donc si on fait abstraction de ces facteurs aggravants, on arrive à des taux de délinquance comparables avec les Français issus des mêmes catégories sociales.

Pour finir les participants évoquent quelques ouvrages susceptibles d’être utiles. Le numéro récent de Population et société consacré aux migrations internationales, le numéro des Cahiers français de mars–avril 2002, les ouvrages de G. Noiriel et de P. Milza consacrés à l’histoire de l’immigration, enfin pour les élèves un roman : Le gône du Chaaba .

Daniel TRAEGER

Voir d'autres CR