RENDEZ-VOUS DE L'HISTOIRE DE BLOIS
Vendredi 13 Octobre 2006   Amphi 2

Le capitalisme est-il né à la Renaissance ?

Conférence animée par la Documentation Photographique.

Intervenants : Pascal Brioist, Florence Alazard, et Frank La Brasca ( université de Tours, CESR).

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Compte-rendu établi par Emmanuel GAGNEPAIN

1/ Que se met-il en place à propos du capitalisme à la Renaissance ?

Le capitalisme n’est pas né précise Pascal Brioist à la Renaissance, il apparaît parfois installé, tout en se développant encore sur beaucoup d’aspects. D’où la question qui peut sembler iconoclaste…

On assiste dans la deuxième moitié du XVIè siècle à un renouveau économique (question de l’amélioration du climat, de la fin des guerres endémiques en France et en Espagne (Reconquista)). On assiste également à un renouveau agricole : la production s’accroît avec l’apparition de nouvelles techniques, tout en reprenant des idées anciennes ( compagnies d’assurances). A cela s’ajoute un renouveau démographique (dans le Nord de l’Europe, Londres, les Flandres, Paris et l’Italie). Le basculement des centres existe malgré tout, et Bruges est en déclin. Les échanges se multiplient, au niveau terrestre comme maritime, les flottes se multiplient, les techniques de navigation aussi (boussole, astrolabe,..). On est encore dans un proto-capitalisme.

Les guildes italiennes (Florence et Venise) sont contrairement à ce qu’on pourrait penser favorables à la mécanisation ( moulin à soie de Bologne accroît la production, les métiers à tisser sont de plus en plus compliqués). Dans le domaine textile, la révolution des couleurs obtenue notamment par la maîtrise de l’alun, de la faïence. Le luxe touche ainsi une partie plus large de la population. On exploite également le sous-sol, une sorte de révolution métallurgique modérée dans les mines et le travail du fer, qui devient plus complexe.

Les plantes se renouvellent également : des circulations nouvelles venues du nouveau monde ( maïs et tabac), et aussi des plantes qui circulent mieux ( tomates qui franchit le Nord des Alpes).

On assiste à la fin du Moyen-Age à un esprit d’investissement qui se répand dans les couches de la société, cet esprit apparaissant surtout dans les livres familiaux. Cet esprit remet en question la notion du pauvre, et nous vient en fait des valeurs de la chevalerie transposées au monde bourgeois ( trouvé dans Shakespeare) . On trouve la notion du risque rétribué, que l’on retrouve également dans la mentalité du jeu, du pari. Chez les aristocrates, au XVè, on parait sur un château fort à prendre. A présent, on pariera sur les dangers de la mer à affronter. Cela aboutit aux premières compagnies d’assurances génoises au XVè siècle.

Le change, le crédit, la banque, se modifient. On joue maintenant sur le crédit d’un pays à l’autre, on cherche à faire de l’argent avec l’argent. L’Eglise elle-même modifie sa relation avec l’argent, moins méfiante qu’auparavant.

Les sociétés d’entreprise naissent également à l’époque : die grosse Gesellshaft jusqu’aux formes de sociétés en commandite, voire en Grande Bretagne, la société par action. Tout est déjà en place, avec des grandes compagnies ayant des succursales en place (Fondaco dei tedeschi à Venise). Les négociants se forment dans des écoles spécialisées, la lettre de change se généralise.

La comptabilité se modernise, et on utilise les doubles entrées comme Jakob Fugger et son intendant. Cependant, les grosses sociétés seulement font le bilan : c’est un outil à la mode, mais dont l’intérêt n’est pas vu par tous les marchands..

Les métaux précieux affluent, d’Europe Centrale, et évidemment, mais à partir de 1530, des Indes.

- Tout cela implique une profusion de biens pour l’élite bourgeoise : le commerce des épices, les faïences, les petits objets de luxe. Tout cela est bien présenté dans le tableau, commenté dans le numéro 8049 de la Documentation Photographique, écrite par P. Brioist, l’Annonciation avec Saint-Emidius, par Carlo Grivelli. Les marchandises du monde entier ( tapis d’Iran) sont présentes dans le tableau, résumant la multiplicité des échanges toutes droit sorties d’échoppes de marchandes de l’époque. La technique de la lettre de change est aussi évoquée à l’arrière-plan.

Un marché financier se crée également pour les oeuvres d’art : les princes et leur poids dans la Renaissance artistique. Le tableau de Ghirlandaio, lui aussi présenté dans la Documentation Photographique n° 8049, montre bien ce lien entre pouvoir et artiste. Un contrat lie artistes et sujets, tout est précisé quant à la place des personnages et les couleurs utilisées par l’artiste. Cela permet à l’artiste de vivre, et aussi à la famille représentée de connaître la gloire ( ici la famille Tornabuoni dans une chapelle de l’église Santa Maria Novella à Florence). Mais les familles mécènes se font aussi immortaliser avec les penseurs de leur temps, ici Marsile Ficin, ou Ange Politien.

On le voit donc, le capitalisme est devenu protéiforme et multiple au XVIè siècle. Mais il n’est pas encore présent partout, et il y a encore bien des héritages des siècles passés. On a des traits de la modernité, mais pour autant, il n’y a pas de société capitaliste.

2/ Florence Alazard : prospérité ou déclin à la Renaissance ?

Un rapport est ici énoncé entre état économique de l’Europe et Renaissance, avec l’étude d’un débat historiographique important sur le niveau économique à cette époque : croissance ou déclin économique ? Et plus exactement le renouveau culturel et artistique est-il lié à une prospérité économique ?

Un premier historien est évoqué, R. Lopez, qui énonce dans sa thèse que la période de la Renaissance a été celle d’un marasme économique, et qu’au contraire, la progression et la profusion des œuvres d’art n’a été possible qu’à cause des " temps difficiles ", l’investissement dans les œuvres d’art étant un placement financier en réponse aux difficultés.

Il s’agit en outre de ramener les dépenses de la Renaissance à leurs justes mesures : les dépenses principales dont à l’époque tournées vers la guerre et la politique des états. Tous les princes ont des délais de paiement important pour les artistes ( Philippe II pour le Titien, négociations âpres d’isabelle d’Este). Les papes n’avaient pas par eux-mêmes les moyens financiers nécessaires à l’édification de la basilique Saint-Pierre.

En bref, cette thèse nie la réalité de la prospérité économique. On retrouve des prolongements chez certains historiens, comme >Romano (la Renaissance est entre deux crises). Fernand Braudel reprend aussi cet argument.

La thèse la plus communément répandue est celle d’une éclosion manifeste de l’art entre le 14è et le 16è siècle. On a une croissance de ces productions supérieure au Moyen-Age. La prospérité s’appuie sur les biens artistiques. On a donc deux thèses opposées.

Comment résoudre cette contradiction ? La piste des collections est évoquée. Les élites de la Renaissance sont plus riches qu’avant, leurs dépenses dans l’art est-il un investissement ? Les élites n’en ont pas une conscience encore très claire.

Il semble, d’après l’étude de la collection de Rubens, faite par un historien américain, que la collection d’œuvres d’art soit pour les élites, une sorte d’aide à l’épargne. Elle permet de préserver le prestige social. Mais il n’empêche que lorsque Rubens revend sa collection au duc de Buckingham, il investira dans la terre (dont les cours remontent à la fin du XVIè siècle).

Au final, il est encore difficile de donner une réponse précise entre prospérité économique et développement de l’art. Il semble que les valeurs monétaires traditionnelles soient encore très présentes.

3/ F. La Brasca : le changement des mentalités dans la littérature italienne de la Renaissance

F. La Brasca évoque pour cette époque un capitalisme déjà revendiqué, et pour lui la question de la naissance ne se pose pas. Il évoque trois figures de la Renaissance italienne et leur lien avec le capitalisme :

Dante : Le rôle de Dante est très important et fondateur dans la création de la langue italienne. Il prouve par le choix des thèmes développés par exemple dans un de ses livres, De Monarchia, dès 1312, que l’italien est un vecteur de diffusion des idées politiques de Dante, à destination du monde bourgeois, peu enclin à lire le latin. Il y a donc un lien fort entre monde commerçant et cette traduction italienne.

Pétrarque : Pétrarque prend à plusieurs reprises position sur la vie économique de son temps dans se correspondance latine. Il évoque la misère des paysans de son temps et la révolte des Ciompi de Florence.

Boccace : il a fait son épopée pour des marchands, en adaptant une épopée chevaleresque, appliquée à des valeurs marchandes ( Fortune, Vertu, Chance).

Questions diverses :

Peut-on parler de mondialisation à la Renaissance ? : La mondialisation est économique, même si elle n’a pas beaucoup d’ampleur encore. La valeur des échanges maritimes reste faible, mais ils existent. Le système esclavagiste naissant, le système de l’économie de plantation, la traite négrière instituée par les anglais au XVIè, montrent cette mondialisation de la production, mais aussi l’arrivée de produits nouveaux venant du Nouveau Monde. La Méditerranée n’est plus le centre du monde. Les échanges se complexifient, le marché aussi. On change de production, de localisation. Les conjonctures sont internationales, même si elles reposent encore sur des spécificités locales.

Existe-t-il des théoriciens de l’économie ? Plusieurs, oui, Bodin, par exemple. Le mercantilisme naît, on approche les produits de la Nation d’une manière plus globale. Ce sera la politique économique de Sully. P. Brioist revient également sur le poids de l’Eglise et des moines ouverts aux nouvelles idées, comme Bernardin de Sienne : il est licite de faire un juste usage de l‘argent. L’Eglise prend dont en compte de manière plus global, le phénomène du marchand.

Qu’en est-il du rôle du protestantisme ? P. Brioist précise qu’il a avant tout développé des exemples du monde catholique. Cette question fait écho à la thèse de Weber du siècle dernier, qui fonde l’origine de la pensée calviniste dans le capitalisme. Thèse très discutée, il semble bien que les deux religions aient des responsabilités dans l’éclosion du capitalisme.

Compte-rendu établi par Emmanuel GAGNEPAIN,

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