RENDEZ-VOUS DE L'HISTOIRE DE BLOIS
Samedi 15 Octobre 2005

L’Europe est-elle chrétienne ?
Débat sous le parrainage de la revue L’Histoire
Intervenants : L. Theis (animateur), E. Barnavi, P. Veyne, P. Valadier, G. Kepel.

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CR

Compte-rendu établi par Eric MAGNE,
Lycée Claude de France, Romorantin

Theis : La question du débat est posée par l’extension de l’UE qui l’amène à chercher son identité. Comment l’Europe est-elle devenue chrétienne ?

 

Veyne : L’Europe est née chrétienne ipso facto ave la chute de l’Empire romain. La religion chrétienne est alors un " best seller ", une religion supérieure. En 200, il y a 5% de chrétiens, en 313 peut-être 10% mais tous les païens se posent la question de leur conversion. Le paganisme doute de lui-même. Le pouvoir impérial a dû faire un choix, et il a choisi le religion " moderne ".

 

Valadier : Du Moyen Age jusqu’au XVIIIème, l’Europe se définit par le terme Chrétienté. Avec le déplacement de la capitale de l’Empire à Constantinople et l’écroulement de l’empire d’occident, le pape est la seule autorité dans cette région. C’est ensuite la Papauté qui a rétabli l’empire. Dès lors, l’Occident a vécu sous l’emprise du spirituel qui " chapote " le temporel (c’est l’inverse en Orient).

Les guerres de religion vont constituer une rupture. L’Etat va prendre le dessus car la chrétienté est désunie. Puis, il y aura une nouvelle rupture durant le Révolution française et la constitution civile du clergé. L’Europe occidentale est donc marquée par un balancement et une tension en interaction entre le spirituel et le temporel.

 

Theis : L’Europe s’est-elle construite contre l’Islam ?

 

Kepel : Il y a deux moments importants :

VIIIème – XIIème : L’Islam aussi est à ses débuts une religion moderne (son immense extension en une centaine d’année en témoigne). L’Europe latine n’est pas un véritable enjeu pour les musulmans, c’est pourquoi " l’arrêt de Poitiers " n’est pas vu comme une catastrophe. Le rayonnement musulman depuis l’Andalousie ou la Sicile va féconder le renouveau intellectuel européen. Il y a alors un défi intellectuel.

1683 : L’Islam n’est plus alors une " religion moderne " mais une machine impériale ottomane qui cherche à s’enrichir par le djihad. Il n’y a plus ici de défi intellectuel entre Islam et Chrétienté mais la hantise pour les Européens de l’invasion militaire.

 

Theis : La Réforme et la mise en place de l’Etat moderne ont-ils mis fin à la chrétienté en engageant le processus de sécularisation ?

 

Barnavi : " Sans Luther pas de Louis XIV " ? En fait le processus de sécularisation s’engage avant la Réforme avec les humanistes chrétiens et le processus de l’Etat moderne dans les cités italiennes ou en France dans le cadre de la guerre de cent ans. On parle alors de plus en plus d’Europe et non plus de Chrétienté.

Cependant, les frontières de l’Europe se trouvent dans l’extension des cathédrales, des universités et des routes de pèlerinages. L’Europe dans ses origines est chrétienne.

 

Théis : Qu’en est-il aujourd’hui ?

 

Veyne : Les valeurs actuelles (démocratie, droits de l’homme, égalité homme/femme…) ne sont pas chrétiennes même si on peut dire que sa culture est toujours chrétienne.

L’Eglise n’est pas née comme un mouvement social révolutionnaire remettant en cause l’esclavagisme par exemple. Son rôle était juste d’assurer le salut des âmes dans l’au delà. Au XIXème, des penseurs chrétiens (Châteaubriand) ont réinvesti les nouvelles valeurs d’égalité sociale comme une extension de la charité chrétienne.

 

Theis : Comment expliquer la polémique autour de la mention de l’héritage chrétien dans le traité constitutionnel européen ?

 

Valadier (rappelons ici qu’il est jésuite): Certes l’Europe n’est plus chrétienne si l’on regarde le nombre des pratiquants se revendiquant chrétiens. Cependant, elle l’est toujours en ce qui concerne des valeurs comme la séparation du spirituel et du temporel, la dignité humaine.

Il y a actuellement un courant de déni de l’héritage chrétien qui s’explique par deux dynamiques :

Nous vivons donc dans un universalisme abstrait. Du coup, l’Europe peut bien s’adresser et concerner le monde entier. Mais elle ne sait plus qui elle est à part être incarnée dans la bureaucratie bruxelloise.

 

Barnavi : Nier l’héritage chrétien c’est nier l’histoire. C’est une forme de négationnisme. Il faut savoir qu’il a aussi été refusé d’inscrire au préambule de la constitution l’Eloge de la démocratie de Thucidyde au motif que la démocratie athénienne n’était pas parfaite (la notre l’est-elle ?) et excluait notamment les femmes. On ne peut nier que l’Europe fut chrétienne. Il n’y a aucun risque de retour clérical à le dire. Même l’argument de la sécularisation (à l’origine du refus de la mention) a une origine chrétienne. Il n’y pas de civilisation qui ne sait plus qui elle est et d’où elle vient.

 

Theis : Qu’en est-il des frontières orientales de l’Europe ?

 

Kepel : Tout dépend si l’on parle de frontières terrestres ou intérieures (mentales). La sécularisation est-elle en mesure de favoriser la démocratisation de la Turquie ? C’est tout l’enjeu des modèles multiculturaliste et intégrateur. Le modèle intégrateur est une sorte " d’Andalousie inversée ". C’est à dire que l’inculturation intérieure (de la Turquie) pourrait favoriser la diffusion des valeurs occidentales (européennes) dans le reste du monde musulman. Pour les intégristes, ce schéma est le véritable danger. Il y a sinon sinon l’approche américaine qui avec l’Irak, un " parachutage " de la démocratie.

 

Barnavi : L’Europe a finalement du mal à s’unir car elle n’a pas de véritable ennemi.

 

NDR : les réponses aux questions du public ont été intégrées aux interventions initiales des participants au débat.

Compte-rendu établi par Eric MAGNE,
Lycée Claude de France, Romorantin

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