RENDEZ-VOUS DE L'HISTOIRE / BLOIS
Samedi 16 Octobre 2004

Nos sociétés sont-elles plus violentes que par le passé ?

Animateur : Henri Rousso, directeur à l’IHTP

Intervenants : S. Audouin Rouzeau : directeur EHESS
D. Crouzet : Professeur à Paris IV
M. Sémo : journaliste à Libération.

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Compte-rendu réalisé par Eric Magne, Lycée Claude de France, Romorantin

  Rousso : Définition de la violence : rupture, atteinte à l’intégrité. Temporalité propre, soudaineté. Choc suivi d’un trauma plus ou moins long.
   Approche du débat globale : violence individuelle / collective, violence économique, social, sexuelle.
   L’essentiel du débat tournera cependant surtout autour de la violence de guerre (NDR).

 Audouin-Rouzeau : la question de ce débat est impossible à traiter. Tout dépend des normes des sociétés et des temps étudiés, de leur seuil de tolérance.

 Sémo : Il y a une contradiction actuelle entre la violence du terrorisme, le sentiment d’insécurité et les sociétés occidentales où la violence est refusée, déligitimée. Le temps n’est plus aux discours politiques violents, aux hymnes à la guerre.
  La guerre en ex-yougoslavie a ramené la guerre dans les sociétés occidentales mais celle-ci a longtemps été occulté par le discours politique, quasiment vues comme anecdotique au début. Cette guerre était anachronique dans ses formes et il y a eu un temps de latence dans sa prise en considération.
  Aujourd’hui encore, aux Etats-Unis, le guerre en Irak est vues comme meurtrière alors qu’elle est sans commune mesure avec la guerre du Vietnam. On voit qu’il s’agit surtout d’une question de perception.

 Crouzet : Le sujet de ce débat pose le problème du comparatisme. Hors l’histoire ne se répète pas. La violence est un événement et il y a ensuite un discours sur celui-ci avec des codes et repères culturels propres à chaque époque et société.

 Rousso : Il y a le problème du rapport à la violence, de son contact. Comment rendre compte de la violence ?

 Sémo : Il a fallu du temps pour prendre la mesure de la guerre d’ex-Yougoslavie, qu’il ne s’agissait pas d’escarmouches ponctuelles mais d’une stratégie à visée ethnique. Ici, nous avons le cas d’une guerre non déclarée et après une longue période sans guerre en Europe. La guerre en Irak apparaît un peu comme inverse : annoncée, déclarée et " peu " meurtrière.

 Audouin-Rouzeau : Les historiens ont peu rendu compte : il y a une déréalisation, une mise à distance de la violence létale dans l’historiographie. Pour un historien du XXème, il y a un contact visuel et l’oralité. Après se pose le problème du dévoilement : celui qui parle de la violence n’est-il pas cruel lui-même ? La violence est un langage qu’il faut pénétrer. Ne pas parler de la violence, c’est la rendre de nouveau possible.

 Crouzet : En parler ne prévient pas. L’histoire arrive toujours trop tard. L’histoire de la violence des temps antérieurs est différente : pas de visuel, pas de témoignages directs. Il y a toute une série de filtres à décoder avant d’approcher la réalité de la violence.

 Sémo : Nous disposons de beaucoup de témoignage de violence subie mais très peu de violenece exercée et assumée.

 Audouin-Rouzeau : L’atrocité vise toujours la filiation de l’autre. Il y a nécessité d’une anthropologie de la violence.

 Rousso : Il apparaît plus facile à l’historien " d’entrer dans le champs de bataille que dans la chambre à gaz ". Il y a une sorte de frein moral, un historien arrivé aux limites de lui-même. On a plus travaillé sur le processus (solution finale) que sur le lieu et ses pratiques.
 Se pose la question du seuil de tolérance : est-il en hausse ou en baisse ? Quels sont les outils de mesure à notre disposition ?

  Audouin-Rouzeau : Le seuil n’est pas mesurable. Approche intéressante de N. Elias et son " process de civilisation " qui a largement influencé les historiens contemporains. è apparition au XVIème de la " contention " des pulsions de violence à travers un processus psychique et moral. L’Etat capte la violence. Mais il y a des objections : la " contention " existe dans des sociétés sans Etat et comment expliquer alors l’atrocité et la violence du XXème siècle ?
  La réponse serait qu’il y a des moments de " décivilisation " voire même plutôt de " dicivilisation " c’est à dire un compartimentage de la violence (qui vise les Juifs dans l’Allemagne des années 30) sans remise en cause du process de civilisation (il demeurait punissable de frapper un Allemand dans la rue).

 Crouzet : La thèse d’Elias est discutable car le XVIème n’est pas un âge d’or (guerres de religion). Il y a souvent un enclenchement des violences sur des thèmes messianiques (Ben Laden, Bush) è " un mal pour un bien futur ".

 Public : Quel lien peut-on établir entre hausse de la violence et progrès technique ?

 Audouin-Rouzeau : Il ne faut pas séparer les moyens techniques des représentations sinon c’est déréaliser. Le génocide rwandais s’est fais " sans moyens techniques ". Mieux vaut étudier les origines que les moyens.

 Rousso : Les attentas du 11/09/2001 ont montré l’intériorisation par les terroristes de la façon dont les américains perçoivent les images. Il y a eu démultiplication de l’effet. Les modalités sont secondaires.

 Public : question de la jouissance du bourreau, de la guerre juste.

 Crouzet : ce n’est pas le débat. Il s’agit d’une approche politique du sujet. Toute guerre est considérée comme juste dans l’un des camps.

 Public : Qu’en est-il de la violence faite aux femmes ?

  Rousso : On retrouve le problème de la déréalisation par rapport aux limites de l’historien sur la question du viol par exemple. Il est là encore question d’une atteinte à la filiation.

  Public : Les guerres coloniales sont-elles un détournement de la violence interne occidentale ?

 Audouin-Rouzeau : C’est une question non résolue qui pose le problème de l’externalisation de la violence des sociétés occidentales et du problème du décalage des normes.

Compte-rendu réalisé par Eric Magne, Lycée Claude de France, Romorantin

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