Venise et l’Afrique au Moyen âge

(Par Jean Claude Hocquet – directeur de recherche au CNRS)

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Compte-rendu réalisé par Jacques GALHARDO.

J-C Hocquet est également connu pour le numéro de la Documentation Pédagogique qu’il a coordonné en 1999 sur Venise et Bruges. Il a également participé au 9ème colloque de Blois sur « la naissance du capitalisme », où il reprenait l’exemple de Venise. Son intervention est disponible sur le site à l’adresse suivante :

http://www.ac-orleans-tours.fr/hist-geo/conferences/travaux.htm

J-C Hocquet indique qu’il préfère comme titre : « les Vénitiens sur les rivages africains ». Puis, il introduit son propos en expliquant que nous connaissons bien les relations de Venise avec Constantinople, mais moins avec le littoral africain (Alexandrie et Maghreb). Pourtant il existe déjà des échanges triangulaires entre les trois lieux.

Au 10ème siècle, Venise constitue une plaque tournante de l’esclavage. Ce sont les Maghrébins qui sont acheteurs. En 960, l’empereur interdit les ventes d’esclaves. Venise poursuit un trafic avec les arabes d’Egypte qui ne cessera que lorsque le Basileus menacera de confisquer des marchandises et des navires. Pourtant, les échanges commerciaux entre Venise et l’Afrique se poursuivent, y compris durant les croisades.

J-C Hocquet illustre son propos de plusieurs exemples : un document datant du 12ème siècle, dans lequel une ancre (bien stratégique à l’époque) est livrée à Alexandrie et payée à Constantinople. Un travail statistique sur les contrats (1094 – 1171) : Constantinople est citée 14 fois, St Jean d’Acre 35 fois et Alexandrie 43 fois. Le royaume d’Italie livre à Venise des esclaves et de l’argent venu d’Allemagne ou du monde germanique. Puis la transaction se fait entre Venise et le monde musulman (en or).

Au 13ème siècle, les initiatives sont individuelles. Les marchands empruntent (taux d’intérêts élevés : 30% par an – lorsque le remboursement n’est pas effectué, les créanciers exigent le doublement). Dans ces conditions, les palais vénitiens (le foncier et l’immobilier plus généralement) sont souvent gagés ou hypothéqués. A Alexandrie, il existe une colonie importante de Vénitiens et d’Italiens qui assure l’accueil des marchands, les garanties, et qui  facilite les initiatives.  Cette colonie de marchands est représentée par un consul local (élu) qui sert d’intermédiaire avec les autorités locales. Elle se compose d’environ 3000 hommes vers la moitié du 12ème siècle (les femmes – à l’exception des prostituées italiennes – en sont exclues). Cette colonie doit obligatoirement séjourner dans les « funduks » (ou « fondacci » - qui a donné le mot « fondation ») prévus à cet effet par les musulmans. Toute forme de mélange est donc proscrite. Enfin, les rapports entre les Vénitiens et les Grecs installés à Alexandrie sont souvent tendus et il n’est pas rare que les Vénitiens soient persécutés et chassés par les seconds.

Exemple : un contrat du 11ème siècle dans lequel le mandataire de Sebastiano Lusiani, Romano Raimano, cherche à établir une transaction de marchandises avec le roi de Jérusalem. Or, ce dernier propose de le payer en besans d’or (c'est-à-dire la monnaie des musulmans). Une monnaie qu’il frappe pour pouvoir commercer avec les marchands arabes. La papauté accepte difficilement qu’un roi chrétien frappe des pièces à la gloire d’Allah… Romano Raimano se tourne alors vers Alexandrie, mais les Grecs risquent de lui faire obstacle (cf. plus haut). Il songe alors à réorienter ses affaires vers le monde normand de Sicile et les ports d’Afrique du nord (Maghreb). Il fait construire une nouvelle nef près du Palais Ducal de Venise. Il emprunte à divers marchands vénitiens et livre des marchandises à Ceuta et Bougie (activités portuaires récentes : 1067). L’affaire est importante, puisqu’elle porte sur un montant (escompté par les marchands) de 1333 besans d’or arabes. Dans le même contrat, des épices sont évoquées. D’où viennent-elles et où vont-elles ? Ce qu’il convient de remarquer c’est le bon niveau d’information des marchands vénitiens.

En 1182, un navire qui devait aller à Constantinople reçoit l’information d’un risque de massacre en route par des pirates. La cargaison se compose de draps de lin, de savon, de granas (teinture), de cire, de métaux, de cuivre, d’armes, de fruits secs et d’olives. Les marchands négocient avec les marins et choisissent de se déporter vers Alexandrie. Ceci montre encore l’importance de l’information, mais aussi que les 2 ports sont interchangeables quelle que soit la nature des marchandises.

Une autre affaire est conclue entre Florentins et Vénitiens pour un montant de 4000 livres, ce qui est considérable. Il s’agit de laine à destination de l’Europe. Cet exemple montre que le « commerce impose la tolérance » (dixit J-C Hocquet). En 1231, les Vénitiens concluent un traité de commerce avec le souverain musulman qui domine la Tunisie, la Tripolitaine et la Kabylie. Le traité prévoit, en outre, les règles de cohabitation pacifiques.

Dans ce contexte, plusieurs lignes se développent entre Venise et le littoral nord méditerranéen : en 1270, création d’une escale à Ras El Makhbar  où débouchent les pistes caravanières. Les Vénitiens reçoivent du sel (pour lester les marchandises et les bateaux). En 1280, le pouvoir vénitien contraint les marchands à rapporter du sel. La ligne se prolonge vers Bone et Bougie. Au début du 15ème siècle, Mude devient une autre destination importante et des convois dits « des galées » sillonnent la Méditerranée. Cette route permet de relier Beyrouth, Alexandrie à la côte maghrébine, puis Bruges, Londres et Aigues Mortes. Le sénat inaugure, au lieu du 15ème siècle, « la ligne de barbarie » (des berbères) qui touche de nombreux ports : Syracuse, Tunis (puis côte de Ceuta), Cadix, Valence et le détroit de Messine, pour finir à Venise. En 1462, la dernière ligne est ouverte : celle du « trafego » : Modon et Coron, Tripoli, Ras El Makhbar, Tunis et Syracuse. Remarque : c’est la 1ère ligne qui ne passe pas par Venise. On y transporte de tout (marchandises, pèlerins musulmans, esclaves destinés au levant – Alexandrie et Beyrouth – et qui formeront bientôt les gardes royales). En 1489, Venise se préoccupe de la fuite des esclaves (slaves) qui séjournent dans la cité. Ils sont arrêtés, marqués au fer rouge et promenés de San Marco au Riotto pour l’exemple ! J-C Hocquet fait remarquer que l’esclavage noir est longitudinal (est-ouest).

Exemple d’une carrière de marchand : une grande famille vénitienne (les Damosto) place l’un de ses membres (Alvise) chez un marchand, à l’âge de 13-14 ans. Il y apprend son métier de 1442 à 1448. Puis, en 1451, il est arbalétrier (classique) sur un navire (destination : les Flandres). Il est débauché par les Portugais d’Henri le Navigateur et organise 2 voyages : l’un en Mauritanie, l’autre au Sénégal. Là il remonte le fleuve du même nom. En 1456, il va plus au sud encore, remonte le fleuve Gambie et installe un certain nombre de comptoirs commerciaux pour les Portugais. Ses récits de voyages sont importants car il présente une nouvelle image de l’Afrique (population noire, langues et agriculture variées…) originale pour l’époque.

J-C Hocquet conclut sur le fait que durant le Moyen âge, aucun conflit majeur n’a opposé le Maghreb musulman aux Vénitiens, même lorsque ces derniers se sont trouvés en conflit avec les turcs (autres musulmans venus des steppes).

Compte-rendu réalisé par Jacques GALHARDO.

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