Quelle histoire pour l’Afrique ?

Animateur : Catherine Coquery-Vidrovitch, professeur émérite de l’université  de Paris VII

Intervenants : Sophie Dulucq, maître de conférence à l’université de Toulouse – Le Mirail, Lucette Valensi, directrice d’étude à l’EHESS, Ibrahim Thioub, professeur à l’université de Cheikh Anta Diop (Sénégal), Alessandro Triulzi, professeur à l’Instituto Universitario Orientale (Italie)

 

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Compte-rendu réalisé par Daniel TRAEGER

Vendredi 17 octobre

Catherine Coquery-Vidrovitch

            C’est une gageure de traiter de l’ensemble de l’histoire africaine. La périodisation tacitement admise par tous est fausse : histoire précoloniale en millions d’années, histoire coloniale durant quelques siècles puis histoire post coloniale. Cette périodisation correspond en effet à un schéma profondément ancré opposant un immobilisme durant des millénaires à l’occidentalisation. Entre le premier millénaire av JC et le Xe siècle on connaît une période d’expansion bantoue associée au développement de l’agriculture et de la métallurgie. Cette période voit des contacts avec les arabes préislamiques et le romains. La conquête arabe impose l’Islam en Afrique du Nord, l’Afrique orientale et l’Afrique de l’Ouest sont touchées des le Xe siècle. Enfin au XVIIe siècle, l’Afrique est au centre d’un système économique qui repose sur l’esclavage.

            On ne peut pas considérer que les africains ont subi leur histoire car on oublie que les africains ont aussi découvert les étrangers venus sur leur continent. D’autre part, il y a longtemps  que l’idée selon laquelle les peuples sans écriture sont sans histoire n’est plus considérée comme pertinente.

            La taille même du continent implique une histoire plurielle qui nécessite un ensemble de regards convergents à partir de cultures différentes. L’Afrique est un laboratoire de toutes les expériences humaines son histoire est banale au sens où elle est commune à toute l’humanité.

Lucette Valensi

            En Afrique du Nord, la périodisation est différente : Grecs puis romains, invasions barbares puis venues d’orient. Au XVIe siècle, exception faite du Maroc, tout cet ensemble géographique est intégré à l’empire ottoman.

Ces influences venues de la Méditerranée n’empêchent ni les échanges matériels ni la pénétration des Maghrébins à l’intérieur de l’Afrique subsaharienne. Après la chute de l’empire Songhay, le Maroc conquiert même une partie de l’Afrique soudanienne (XVIe siècle). L’Egypte constitue une exception : la vallée du Nil constitue un axe majeur de communication depuis le début de l’histoire.

Ibrahim Thioub

             Cette périodisation remonte aux lendemains de la seconde guerre mondiale où la colonisation apparaît comme un phénomène central. Il convient de déconstruire cette périodisation en la replaçant dans la période où elle est née  pour ensuite l’utiliser en toute connaissance de cause quitte ensuite à la réviser. Il faut rappeler que tous les noirs ne sont pas africains et que tous les africains ne sont pas noirs.

De même le découpage  géographique : Afrique blanche/Afrique noire correspond à un schéma mental hérité de la colonisation.

La mobilité dans l’espace et le temps des africains

Alessandro Triulzi

            Il faut inclure le mouvement dans l’étude de l’histoire africaine. On a tendance à croire qu’ils ont récemment bougé, or ces sociétés ont toujours bougé. Elles ont vécu dans des habitats complexes, ont du payer un lourd tribut de souffrances et se sont adaptées aux situations nouvelles en se déplaçant chez eux, chez leurs voisins puis chez nous.

       L’histoire africaine doit être regardée de façon plurielle. Chaque état à sa périodisation, ce sont des sociétés en contact avec d’autres et qui en ont toujours tenu compte dans leur culture et dans  leur langue. Même si le colonisateur a voulu figer leur identité, celle ci a toujours évolué.

            Il est intéressant d’étudier les marges des grands empires africains comme le Ghana ou le Mali. Ce sont des lieux où s’opère une mixité de cultures et de langues, c’est un lieu de brassage des ethnies.

Lucette Valensi

            L’histoire de l’Afrique est cloisonnée : d’un coté les historiens s’occupent des états, de l’autre les sociologues s’occupent de la société. Il convient d’étudier le rapport entre les deux. On doit à l’Afrique l’or, les esclaves, le sorgho, le millet, les piments ; elle a accueilli le mais, le manioc le haricot. La diffusion de ces progrès matériels s’est faite de façon silencieuse et «  par le bas ».

Ibrahim Thioub

            La seule forme de survie pour un Africain consiste à changer d’identité. Il est nécessaire de substituer l’image d’un sujet actif engagé dans des processus historiques complexes à l’image figée et ethnicisée de l’africain ; Ce sujet est capable de s’inscrire dans les marges pour contester le centre et sait faire preuve d’inventivité. Les Africains voyagent, partent en pèlerinage à la Mecque ; les Ethiopiens chrétiens ont des contacts avec les musulmans, il y a une capacité à intégrer les apports extérieurs. On insiste trop sur l’appartenance ethnique alors que la plupart des groupes se définissent plus par leur lieu d’origine que par l’ethnie. Les Maliens sont d’abord des Malinkés (hab. du Mali) puis des Bambaras ou des Peuls.

Sophie Dulucq

            On écrit l’histoire avec les concepts et les problématiques de son temps. Ce fut d’abord l’histoire des grands empires soudaniens puis l’histoire économique privilégia l’étude des échanges. De nos jours on met l’accent sur les concepts d’hybridité et d’acculturation ; L’histoire culturelle ne s’intéresse pas aux mêmes sources que l’histoire économique.

            Le christianisme et l’Islam sont des changements majeurs et il y a eu domestication de ces apports. L’Islam africain a les mêmes références mais adapté à un contexte local. L’Eglise copte africaine est un produit autochtone. Lorsque les Portugais introduisent le catholicisme en Afrique centrale, les autochtones africanisent la vierge.

Catherine Coquery-Vidrovitch

Quelle histoire pour l’Afrique ?

Catherine Coquery-Vidrovitch

            Il y a abondance de sources ce qui contredit l’afro pessimisme des années soixante. Pour R Dumont, l’Afrique était alors « mal partie » mais le titre pose problème dès lors que l’Afrique est « partie » depuis la naissance de l’humanité.

Alessandro Triulzi

            Nous enseignons l’histoire de l’Afrique comme celle de l’autre, or il faut s’intéresser à cette histoire pour ce qu’il y a de commun à tous les hommes. La difficulté est de transmettre à la fois la spécificité de l’histoire africaine et cette qu’il y a de commun à toute l’humanité. Les Européens ne peuvent faire l’histoire de l’Afrique seuls, il faut   reconstruire  cette histoire avec les Africains ; On doit poser à la fois la question du rapport avec l’Europe et celle de la capacité qu’ont eu de tout temps les Africains à être des sujets d’histoire.

Ibrahim Thioub

            Les Africains ne mènent pas des recherches sur les autres, or la meilleure façon de comprendre l’Afrique serait pour un étudiant africain d’étudier les mariages clandestins en Italie au XIVè siècle. L’histoire africaine est née au lendemain de la seconde guerre mondiale, c’est une écriture de combat pour contester la dénégation de            l’historicité des sociétés africaines par l’Europe, l’assimilation de l’Afrique aux noirs et enfin la mise en relation des deux, c’est à dire le racisme

            Il importait de montrer qu’il y avait une histoire africaine et que l’histoire politique y était aussi complexe qu’en  Europe : Chaka devenait ainsi le Napoléon de l’Afrique ou plutôt Napoléon était le Chaka de l’Europe.  S y ajoutait une vision idéologique selon laquelle les Africains étaient tous frères et que les conflits seraient nés d’interventions extérieures. Cette vision a empoisonné l’histoire africaine en déniant toute histoire à l’Afrique précoloniale alors qu’il y avait histoire car il y avait des conflits interafricains.

            L’idée selon laquelle la marginalisation de l’Afrique aurait été causée par la traite pose aussi problème. Certes toute l’Afrique a été victime de la traite mais tous les Africains n’en ont pas été victimes. Des noirs ont collaboré à la traite. Depuis les années quatre vingt, l’Afrique est en crise et pourtant cette crise , c’est aussi un moyen de progresser et de remettre en cause le pouvoir.

Sophie Dulucq

            Tout passé est instrumentalisé . Seul le dialogue entre historiens peut permettre la diversité et ainsi l’approche de la vérité.

Lucette Valensi

            Le travail de construction de l’histoire est à partager, le dialogue  est nécessaire mais est il possible ou même simplement souhaitable de travailler ensemble ?

Alessandro Triulzi

            Toute histoire ne doit pas être partagée. L’histoire de l’Afrique est nécessairement plurielle et divisée et il faut respecter les interprétations différentes. Le passé et le futur sont liés, comme en Afrique, le futur est incertain, on se bat sur l’interprétation du passé 

Catherine Coquery-Vidrovitch

            Il existe une scission entre une histoire du Maghreb, francophone, très approfondie et qui ne se confronte pas à une autre tradition historiographique et l’histoire de l’Afrique subsaharienne où les historiens français doivent tenir compte des historiens africains, nord américains et des autres Tout colloque doit alors comprendre la présences de spécialistes internationaux. C’est en multipliant les points de vue que l’on parviendra à un maximum de tolérance et de respecte des idées de l’autre à condition qu’elles correspondent aux critères exigibles dans toute recherche en sciences humaines et sociales.

Comment faire de l’histoire sans écriture ?

Lucette Valensi

            Tant qu’il y a des sources archéologiques et des sources écrites extérieures, ont peut écrire une histoire.

Sophie Dulucq

            Dès la première moitié du XIXè siècle, des orientalistes écrivent une histoire des empires soudaniens en utilisant des sources en Arabe.

Catherine Coquery-Vidrovitch

Dater le début de l’histoire de l’invention de l’écriture constitue une absurdité. En 1960, un historien va jusqu’à dire qu’on peut écrire l’histoire des mayas et pas celle des Incas.

Compte-rendu réalisé par Daniel TRAEGER,  jeudi 30 octobre 2003.

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