NATIONS, ETHNIES ET MINORITES

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Compte-rendu réalisé par F. Beauger-Cornu

Animateur : Jean-Pierre CHRETIEN, directeur de recherches au CNRS (UMR M.A.L.D. de Paris I)

Intervenants : Michel CAHEN, chercheur CNRS au Centre d’étude de l’Afrique noire de l’IEP de Bordeaux - Issiaka MANDE, maître de conférences à l’université de Paris IV – Joseph GAHAMA, professeur à l’université du Burundi, détaché à l’Institut supérieur d’Education de Kigali – Jean FREMIGACCI, maître de conférences à l’université de Paris I – Catherine ATLAN maître de conférences à l’Institut des Etudes Africaines d’Aix-en-Provence (CNRS).

J .P. Chrétien évoque d’abord les difficultés liées au vocabulaire.

Le terme ethnie : Dans les récits de voyage anciens, on n’utilise pas le terme ethnie. C’est un mot récent qui remonte aux années 1960-1970. Quant à celui de nation, il fonctionne à partir du moment où se mettent en place les indépendances. Enfin, le mot de minorités fait-il seulement référence au nombre ?

Au XVIIème siècle, le terme ethnique signifiait païen. A partir du XIXème siècle, on parle d’ethnologie pour désigner les peuples anciens. Le mot d’ethnie est français. C’est une certaine façon d’analyser, c’est une classification des populations africaines. On est donc devant un vocabulaire chargé d’idéologie. Depuis quelques années, on remet en cause cette notion. Il n’est pas facile de faire une carte des ethnies. Les ethnonymes sont récents et souvent donnés par des étrangers. Cela renvoie aussi aux migrations de populations aux frontières.

Trois moments seront successivement pris en considération :

1)       Les situations anciennes : comment les ethnies se sont-elles cristallisées ?

2)      Autours du contact colonial : l’ethnie est-elle « l’invention » de la colonisation ? Quels sont les processus qui ont contribué à modifier ce type de classification ?

3)      Le temps présent : quels sont les évolutions politiques, les défis posés à la démocratisation ? Les enjeux ? Quelles appréciations peut-on en donner ?

J. Fremigacci croit en l’existence et en la réalité de l’ethnie. Chacun d’entre nous a un cercle de solidarité (concrète et imaginaire). Ces deux cercles sont pour nous la famille et la nation.

Dans certaines sociétés comme à Madagascar, on peut distinguer le clan, le lignage et l’ethnie au niveau imaginaire.

Quelle en est la genèse ? L’histoire génère de la diversité. Au départ, à Madagascar, on peut parler d’homogénéité des populations puis d’une différentiation en fonction des lieux qu’elles habitent. Ce n’est pas une conception déterministe de l’espace, ni même bourgeoise. Cet espace a eu d’emblée une signification culturelle et politique.

Le peuple des « épineux » : ce sont des clans de Malgaches qui se sont réfugiés dans un lieu précis (cf épineux) parce qu’ils rejetaient la société monarchique. L’espace est donc culturalisé.

Les ethnies de Madagascar sont apparues à un moment historique privilégié, entre le XVème et le XVIIème siècle, moment où se développent les royaumes.

J. Gahama  évoque la région des grands lacs, l’Est africain.

A la fin du XIVème siècle, on assiste à l émergence de modèles monarchiques qui s’appuient sur des organisations classiques, dont le nombre varie d’un royaume à l’autre. C’est la famille nucléaire, la famille élargie, le lignage et le clan.

Le Rwanda et le Burundi sont des pays divisés en clans et non pas en ethnie.

Rwanda : modèle où les clans s’amalgament : 13 ou 18.

Burundi : modèle où les clans se segmentent : + 220 clans.

Ces clans sont éparpillés sur l’ensemble du territoire et de la région des Grands lacs. Ils ont un totem commun.

Les Rwandais et les Burundais s’identifient d’abord à partir de la famille, du lieu où ils habitent, du clan, de la région. Il n’y a pas de référence ethnique.

L’ethnie n’est pas une invention de la colonisation. Les clans se partagent toutes les ethnies : Hutus, Tutsies, Twas.

La simplification du système colonial va compliquer les données. Les Hutus sont associés à l’agriculture, les Tutsies à l’élevage et les Twas à l’artisanat. De nombreux ouvrages ont vulgarisé cette idée.

L’ethnie joue un rôle peu important avant l’indépendance.

C. Atlan : L’ethnie a une dimension politique dans l’Afrique de l’Ouest cf ethnie Sérère au Sénégal. L’histoire de ce groupe remonte au Xème siècle. Ces populations refusent alors l’islamisation et migrent vers le Sud, contrairement aux Peuls. Les Sérères forment alors un embryon d’état-nation. « Sérère » viendrait d’un mot peul qui veut dire « séparation ».

J. P. Chrétien : il n’y a pas une Afrique traditionnelle immuable. La colonisation n’a pas créé les ethnies mais on assiste à un changement de signification avec la domination coloniale.

M. Cahen : La colonisation, la domination ont un effet de remaniement identitaire. Le futur d’un groupe ethnique n’a pas été le même.

La préoccupation du colonisateur a été de nier les civilisations africaines cf Mozambique. A partir de 1964, c’est la libéralisation. L’administration n’a pas voulu utiliser, manipuler les ethnies pour les dresser les unes contre les autres. Mais il existe une division entre les « assimilés » et le reste de la population.

I. Mande : 85 à 90% des flux se font à l’intérieur du continent. Avec l’administration coloniale, on construit des identités contre les autres.

J. Gahama : les transformations coloniales.

Les ethnies sont définies par la colonisation. Les critères retenus :

-          description physique

-          jugements moraux globalisants

-          notion de majorité/minorité (Hutus=85% population, les Tutsies=10%). Les Hutus sont des « serfs », les Tutsies des « seigneurs ».

-          la référence des origines

Pourquoi les Rwandais et les Burundais se sont-ils laissés faire pou être classés en ethnie ?

J. Fremigacci : Le concept d’ethnie a été manipulé de façon involontaire par l’application des critères de la nation telle qu’on la concevait en Europe.
Le colonisateur a racialisé l’ethnie. On a aussi donné une importance aux frontières. On a cloisonné l’espace ce qui n’existait pas.

C. Atlan évoque l’exception sénégalaise ou l’alternative possible.

C’est un pays qui a échappé à la manipulation politique des identités ethniques car :

-          les migrations se sont multipliées ce qui a provoqué un brassage ethnique,

-          le clivage que les colonisateurs ont renforcé est celui entre Sénégal utile et périphérie,

-          entre les élites urbaines et les paysans de l’intérieur.

La colonisation empêche les manipulations ethniques. Le poids de la culture politique remonte à la fin du XIXème siècle. Les élites ont été acquises très tôt à l’idée de l’état-nation européen. L’Etat colonial a été générateur de conscience, de sentiment national.

I. Mande : dans les années 1970, raidissement et cristallisation identitaires. Les droits des minorités sont remis en cause.

J. Gahama : Pour comprendre le drame, il faut remonter aux années 1930 où l’on impose un livret d’identité avec une mention ethnique. L’administration et l’Eglise catholique décident de s’appuyer sur une ethnie pour conduire les affaires du pays. L’ethnicité est porteuse de valeurs négatives.

Rwanda : 8 000000 d’habitants, Burundi : 6 000000 d’habitants. Ce ne sont pas des petits pays mais ils sont bloqués par des problèmes de pauvreté. Ils ne pourront pas s’en sortir sans s’intégrer dans de vastes organisations internationales.

M. Cahen : Quelle est la représentativité de la nation ? Au Mozambique, la guerre est communautaire mais pas ethnique.

Compte-rendu rédigé par F. Beauger-Cornu

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