La laïcité à l’heure de l’Islam

Vendredi 17 octobre
Hémicycle de la Halle aux Grains

Participants : J. Lallain (Le Parisien), E. Benbassa (historienne du judaïsme), F. Frégosi (C.N.R.S.), P. Carbonel (historien du protestantisme et de la laïcité -Toulouse)
Animation : J.-M. Helvig (Libération)

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Compte-rendu réalisé par Thierry Flammant

1.   Islam et laïcité, vieille histoire.

·       E.B. évoque l’histoire de la Turquie moderne et rappelle que la laïcité est entrée dans la constitution avec les réformes de Kemal (interdiction du voile, des signes religieux distinctifs...) mais qu’aujourd’hui on  assiste à un « retour du refoulé » avec les succès électoraux des islamistes modérés.

·       F.F. cite l’exemple malheureux de la colonisation française où le rendez-vous entre l’Islam et la laïcité a, finalement, été manqué puisque la loi de 1905 n’a jamais été appliquée en Algérie où la religion musulmane est restée réglementée par l’Etat français.

·       P.C. revient sur une autre religion qui a posé des problèmes à la laïcité : le catholicisme. En effet, il a fallu très longtemps à la république pour faire enlever les signes religieux des lieux publics par exemple (écoles, tribunaux, hôpitaux...). En revanche, ce conflit a donné une législation spécifique « à la française » (la loi de 1905, loi de compromis plus que de combat) que ne connaissent pas les pays d’Europe du nord, protestants et humanistes, où la puissance cléricale était moindre.

2. L’Islam : un problème récent.

·       J.L. fait remonter le problème à l’année 1989 (jeunes filles voilées dans un établissement scolaire de Creil). Cas isolé, certes, mais posant déjà des problèmes aux enseignants et au chef d’établissement. Pour lui, le 11 septembre (il veut sans doute parler du 11 septembre 2001) fut une fracture très nette avec la multiplication des cas de port de voile dans l’école laïque. Il constate qu’ on comptait une dizaine d’élèves voilées par établissement en région parisienne à la rentrée 2003 et que ces cas avaient trouvé une solution après discussion avec les enseignants, les parents, les surveillants, les chefs d’établissement...

·       E.B. pose la question : pourquoi le voile ? Elle se demande si la république n’a pas perdu certaines de ses valeurs et souligne qu’en 1791, lorsque la Révolution française a émancipé les juifs, leur intégration ne s’est pas faite immédiatement à cause de nombreuses résistances. Elle constate que légiférer, en la matière, est un problème qui mérite réflexion.

3. Législation et interprétations de l’Islam.

·       F.F. répond à J.L. que la date du 11 septembre ne peut être retenue car le problème existait bien avant et ne s’est pas forcément amplifié depuis. Il remarque que, dans une société comme la nôtre, nous n’avons plus l’habitude de nous référer au religieux ce qui met les manifestations religieuses en complet décalage. D’autre part, il pense qu’il faut distinguer ce qui est essentiel de ce qui est secondaire dans la foi et donc faire la distinction entre les principes et les pratiques. Enfin, il déplore le fait qu’on essaye de construire une représentation idéale de l’Islam alors qu’il faudrait plutôt « laisser du temps au temps ».

·       J.L. remarque que la difficulté rencontrée par un professeur d’E.P.S., par exemple, est faire changer de vêtements des filles dans un même vestiaire. Dans le même sens, l’attitude d’une assistante sociale de la ville de Paris, voilée et refusant de serrer la main des hommes, pose le problème de : jusqu’où peut-on accepter ?

·       P.C. va dans le même sens qu’E.B. en insistant sur le fait que la république doit avoir le temps de s’enraciner et que les catholiques, au départ violemment hostiles, se sont finalement « ralliés » à la république. En ce qui concerne la laïcité, il faut revenir à sa définition la plus simple : séparation du privé et du public.

·       E.B. fait remarquer que la laïcité en France est remplie de contradictions puisque, par exemple, certaines cantines scolaires servent systématiquement du poisson le vendredi et qu’un ministre de l’Intérieur est à l’origine de la formation d’un Conseil du Culte Musulman !

·       F.F. pense qu’il est nécessaire de faire la différence entre le processus intellectuel et les textes qui définissent la laïcité et qu’une réalité juridique doit s’imposer à tout le monde.

·       J.M.H. souligne que dans toutes les catégories de la population, les gens ont un rapport tout à fait privé avec la religion et qu’on polarise sur les minorités.

·       E.B. indique qu’il s’agit de minorités agissantes soutenues par des lobbies.

·       J.L. parle de la résurgence du « fait religieux » dans la sphère publique qui avait disparu depuis des dizaines d’années et pose la question de l’adaptation à ce fait. Il cite les efforts des cantines scolaires, l’exemplarité des champions sportifs qui ne suivent pas forcément le jeûne du Ramadan (alors que cette pratique fait des ravages chez les élèves).

·       P.C. insiste sur la difficulté de l’enseignant de collège face au voile, souvent laissé seul face au problème. La laïcité doit s’affirmer sans se préoccuper des « subtilités » avancées ici ou là mais en étant capable de négocier si besoin est. Il est essentiel que la république et la laïcité doutent moins !

·       E.B., tout en affirmant être non croyante, pense que la laïcité ne peut pas continuer à rester un « dogme » et qu’il faut enseigner les fondements religieux à l’école.

4. Quelle(s) solution(s) ?

·       J.L. constate que, depuis 1905, le monde a changé et qu’en région parisienne, par exemple, il y a un brassage de communautés (des turbans Sikhs apparaissent...), c’est-à-dire une nouvelle réalité et que la loi de 1905 est inadaptée. D’autres pays (Angleterre, Allemagne...) ont adopté une attitude plus tolérante. Le sujet de la laïcité est une « crispation franco-française ».

·       F.F. remarque que plusieurs options étatiques sont envisagées et qu’il est important de rappeler les valeurs-clés. En tout état de cause, le Conseil d’Etat sera à nouveau amené à statuer dans le contexte présent. Mais les élèves ne sont pas des usagers comme les autres ; ils sont tenus à un « devoir de neutralité » et il ne faut pas forcément transposé ce qui se fait ailleurs (il est faux de dire que l’Allemagne est plus « tolérante »).

·       P.C. rappelle un vieux décret, celui du ministre Jean Zay de 1937, interdisant tout signe politique et religieux à l’école et que l’on ferait bien de s’en inspirer avant de légiférer.

Commentaires personnels.

Quelques conversations tenues après ce débat ont confirmé une impression plus que mitigée quant à la pertinence à la fois des propos échangés. Les interventions ont très vite tourné autour de la question du voile ce qui n’était, finalement, qu’un aspect du thème affiché.

La présence de deux journalistes aurait du suscité la question du rôle essentiel des médias dans la mise en évidence du voile à l’école puisqu’il s’agit d’un phénomène ultra minoritaire sur l’ensemble du territoire national. Réduire le problème de la laïcité à l’heure de l’Islam au port du voile à l’école masque le fait que la très grande majorité des élèves musulmanes ne le portent pas et que la majeure partie des musulmans de France y sont hostiles. On aurait aimé, par exemple, qu’évoquant la première affaire de foulard en 1989, on mentionne le rôle de Lionel Jospin (loi d’orientation du 10 juillet 1989) renvoyant la responsabilité à chaque établissement, via le Conseil d’Etat.

Plutôt que d’entendre un journaliste afficher son point de vue sur la laïcité, la loi de 1905 ou la « tolérance » des Etats peu laïques, on aurait aimé que soit poser le problème de la laïcité aujourd’hui : en quoi l’Islam menacerait-il davantage la laïcité que les autres religions ? Esther Benbassa avait effectivement beau jeu de pointer le doigt sur les « dérapages » de l’Etat républicain en matière de neutralité (contrevenant ainsi à la loi de 1905) : elle aurait pu mentionner le financement public d’écoles catholiques, le financement public d’un séjour papal ou encore les visites, en tant que représentants du gouvernement français, de ministres divers à des manifestations religieuses (voir les récentes entorses à la laïcité du Premier ministre...). Y aurait-il deux poids, deux mesures dans la république ?

Ce qui pose effectivement le problème de la laïcité et de sa définition, de la pertinence et de l’actualité de la loi de 1905, de la place, des droits et des devoirs des religions (sans en favoriser aucune comme c’est le cas actuellement), de la conception de la république (une et indivisible ou « communautaire »).

Quelques interventions ont rappelé qu’il a fallu du temps pour que les catholiques se rallient à la république. Aucun dogme religieux n’était enseigné dans les écoles cependant. On peut alors légitimement se demander en quoi l’enseignement de ces dogmes - comme c’est le cas actuellement en 6ème d’après une récente enquête de la revue Science et Vie - permettrait aux musulmans de France de mieux s’intégrer (ce qui signifierait, en plus, qu’ils ne le sont pas).

Si un débat ne peut épuiser l’ensemble des questions que chaque auditeur se pose, du moins doit-il essayer de répondre le plus possible au thème choisi en nourrissant la réflexion de chacun non par l’étalage de points de vue personnels mais par des interrogations, des références historiques et culturelles incontestables. Ce ne fut pas tout à fait le cas ce jour-là.

Thierry Flammant

Collège de Langeais - 37

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