L'Afrique à l'orée du IIIème millénaire : conférence de clôture d'ABDOU DIOUF

Président du conseil de la francophonie (à la suite de B. Boutros-Ghali).

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

            Il n’y aurait pas d’histoire en Afrique ? Quelle erreur ! (cf : Histoire générale de l’Afrique). L’histoire coloniale, douloureuse par tant d’aspects et parfois bénéfique, en fait partie. « Tant que les lions n’auront pas d’historiens, l’histoire des lions sera écrite par les chasseurs ». Les lions doivent donc prendre possession de leur histoire et cela fait longtemps qu’ils l’ont fait ! La contribution des historiens africains consiste à apprivoiser les réalités et les cultures, à se débarrasser des scories idéologiques. L’héritage du passé doit permettre de prospecter le futur : « l’histoire, ce n’est pas la science du passé mais des rapports réciproques entre le passé et le présent » ( M. Bloch). 

Aujourd’hui, nous voyons les images poignantes du génocide au Rwanda, des massacres au Burundi, au Libéria, des épidémies (le sida et le paludisme) meurtrières faute d’information et de soin. Tout cela entraîne les enfants abandonnés et les candidats à l’émigration : c’est cela l’Afrique au quotidien.  Mais c’est aussi une énergie insoupçonnée pour survivre à la désertification, la résistance à la traite et à la colonisation, aux échanges inégaux avec le Nord. Le rejet du fatalisme, voilà la force de l’Afrique.  Il faut aussi noter son aptitude au renouvellement, sa capacité à accélérer l’adaptation. C’est le combat de l’optimisme contre le pessimisme. L’Afrique a connu des chefferies , des royaumes, de grandes cultures…  Avant la Renaissance, Tombouctou était plus alphabétisée que les villes d’Europe.   Puis le commerce triangulaire, la perte de la domination du commerce ont entraîné une ère de relations asymétriques entre le Nord et le Sud jusqu’à l’indépendance et la souveraineté. On ne peut pas ignorer l’Afrique (la qualité des ressources humaines, sa jeunesse, la richesse de ses cultures) : elle va connaître la libération tant attendue, celle des esprits.

Il faut une révolution dans les regards vers l’Afrique, c’est-à-dire refuser l’afro pessimisme ou la fausse idéalisation. La pauvreté n’est ni une fatalité ni un état congénital mais l’effet d’un système économique. Regarder l’Afrique autrement, c’est aussi chasser les stéréotypes et les préjugés coloniaux, intériorisés et qui ont entraîné les conflits raciaux dans la région des Grands Lacs et la violence. Les inégalités socio-économiques ont pour conséquence des conflits identitaires et s’opposent au processus d’intégration. Il faut être privé de sa mémoire historique pour se rendre compte du confort de l’avoir !

La coopération véritable, c’est lorsque celui qui apporte doit apprendre à recevoir et vice-versa. Il faut s’émanciper de l’hérédité du passé. Les dictatures les plus féroces du continent et l’apartheid sont tombés. L’Union africaine (après l’OUA) confirme un rêve : prendre en charge leur propre développement. L’Afrique revendique son unité, le rêve panafricain, la défense des intérêts communs dans le concert des nations. Elle veut transcender les différences. Ce n’est pas une pure utopie si cela s’organise sous l’égide des grands pays africains pour dépasser le morcellement des peuples entre différents pays. Cela reviendrait à regrouper les régions et développer un marché intérieur africain, et cela diminuerait les tensions ethniques. Les espaces de circulation seraient plus étendus et le problème des réfugiés se poserait dans des termes différents. Cela nécessite la démocratisation des institutions (reflet du pouvoir du peuple) et des idées (les langues et les cultures, la créativité de tous pour le bien de tous), ainsi qu’un renforcement des droits de l’homme. Les reculs doivent être condamnés (les coups d’état et les atteintes aux droits de l’homme), comme en Guinée-Bissau etc… Il faut donc des missions d’observation des élections, une culture démocratique intériorisée, des médias libres et responsables. Il ne faut pas seulement des lois : leur application doit suivre et les principes démocratiques doivent être respectés. Il est donc nécessaire de créer un observatoire des droits de l’homme en Afrique. L’Afrique est un géant immature qui s’est laissé convaincre qu’il n’est rien, qu’il ne vaut rien, qu’il ne peut rien. Ce sont de jeunes pays habités de vieux peuples : la mémoire est donc de longue durée et le processus de maturation est nécessairement long. L’Afrique a des capacités de rebond : « Nous sommes les hommes de la danse dont le pied reprend vigueur en frappant le sol dur » (Léopold Sédar Senghor).

Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

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