Table ronde de L’Histoire

« LA COLONISATION EST-ELLE RESPONSABLE  DU SOUS-DEVELOPPEMENT ? »

Animée par François LEBRUN
Avec :
Sylvie BRUNEL, Marc FERRO, Pierre KIPRE, Jacques MARSEILLE
Un dossier documentaire est remis au public.

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Compte-rendu réalisé par F. Beauger-Cornu

F. Lebrun propose de s’interroger sur les termes employés :

1) colonisation et sous-développement, quel sens ?

M. Ferro : La colonisation peut se définir comme les mouvements de population qui s’en vont contrôler d’autres territoires. Ce terme est à distinguer de l’impérialisme qui peut se passer de colons. Le néo-colonialisme dans les années 1950 se définissait comme la « situation d’un pays dont les décisions émanent de forces extérieures ». Aujourd’hui, on peut davantage parler de néo-impérialisme avec les multinationales.

Pour les mondes de l’Islam, la question est de savoir « comment a-t-on pu être esclaves de nos esclaves ? » Ce traumatisme a donné naissance à différents courants.

En revanche, l’Afrique noire n’a pas été dominée par des peuples qu’elle a dominés. C’est une faiblesse qui a permis dans une certaine mesure la conquête. Mais pourquoi ces pays étaient-ils si faibles ? Il n’y a pas seulement des causes économiques. L’Afrique dans la mondialisation a pu favoriser la colonisation. La destruction de sociétés traditionnelles n’est-elle pas à l’origine de la colonisation ?

S. Brunel sur le thème du sous-développement :

L’Afrique est plurielle : il y a des grandes puissances et des NPI. Un certain nombre de critères montre le retard de ce continent : le PIB par habitant plus faible, l’IDH…Le retard de l’Afrique se mesure aussi avec le taux de mortalité infantile qui indique l’état de santé des femmes, l’état social, l’état des routes et du système de santé. Le seuil de 50%° est important. En Afrique, il est toujours supérieur à 100. L’espérance de vie est marquée par le sida : dans les années 90, elle était de 52 ans, aujourd’hui, elle est inférieure à 50 ans. L’analphabétisme touche les 2/3 des femmes dans les campagnes et 1 enfant sur 2. L’Afrique représente 2% des échanges internationaux. Ces chiffres doivent néanmoins être pris avec des « pincettes » :

-         70% de l’activité africaine n’est pas enregistrée car informelle, ce qui amène à relativiser le retard.

-         Les autres progrès : on est passé d’un monde vide à un monde plein (d=30h/km2 ) ;

-         la population urbaine représente 40% de la population totale ;

-         l’Afrique s’engage sur la voie de la baisse du taux de fécondité ;

-          l’Afrique a conservé une relative stabilité de ses frontières ;

-          l’Afrique a fait preuve d’une capacité de résistance et d’adaptation, de « résilience ».

2) Le sous-développement et colonisation 

S. Brunel :

Quelles sont les conséquences de la traite sur le sous-développement aujourd’hui ?

A la traite européenne, s’ajoute le statut inégalitaire : 1/4 de la population au Sud du Sahara ont le statut d’esclave. Environ 15000000 de personnes sont arrachées à l’Afrique. La ponction humaine est donc réelle, compensée en partie par un reflux démographique. Le problème est celui de l’héritage de la traite : les frontières enserrent des peuples anciennement dominés et dominants. La traite continue à marquer les mentalités.

J. Marseille : Quand on dit pillage, on est dans une logique de butin. Est-ce qu’il y a eu échange inégal ? Est-ce l’élément déterminant du sous-développement ?

En fait, cela 20 ans qu’on assiste à un non-développement de l’Afrique. Dans le même temps, on assiste à un immense développement de l’Asie.

A la fin de la période coloniale, le revenu par habitant est supérieur à celui de l’Asie.

On a souvent comme idée que notre développement en Europe est lié au pillage de l’Afrique. En fait, le développement industriel de l’Europe s’est fait sur les propres ressources de l’Europe. Notre développement n’est pas lié au sous-développement.

Sur le plan des échanges, y-a-t-il eu dégradation des termes de l’échange ? Si l’on regarde le prix de l’arachide, il semble qu’il n’y ait pas dégradation.

La période coloniale a représenté une sorte d’abri pour l’Afrique. L’Afrique a eu croissance plus forte dans la période coloniale que l’Asie cf le poids des investissements, balance commerciale.

En fait, le legs de la colonisation est le non apprentissage d’une économie concurrentielle.

Que se passe-t-il depuis l’indépendance.

P. Kipré s’interroge sur le travail de sous-développement culturel des puissances colonisatrices et fait quelques remarques sur les propos qui viennent d’être tenus :

- si l’Afrique avait été si heureuse pendant la colonisation, pourquoi a-t-elle demandé la décolonisation ?

- sur le problème des échanges : l’exploitation était réalisée par des sociétés, des entreprises coloniales qui fixaient les prix. Aujourd’hui, les prix sont toujours fixés par les acheteurs.

- sur l’orientation des échanges : on a privilégié les routes, les chemins de fer qui ont permis de privilégier les échanges Afrique-métropole au détriment du développement des transports à l’intérieur de l’Afrique.

De 1900 à 1959, la part des colonies dans le commerce français passe de 6% à 25%.

- la colonisation était un système qui était du point de vue africain un totalitarisme.

Le sous-développement n’est pas un retard. Un retard par rapport à qui ? L’idéologie européenne ? Nous n’avons pas les mêmes repères.

En revanche, nous pouvons parler de retard par rapport à nous (Africains), par rapport à nos valeurs.

M. Ferro est en désaccord avec J. Marseille.

- Qui profitait de la colonisation ? Peut-être pas la France mais des Français.

- Les colonisés ressentaient le départ des marchandises comme un pillage.

3) Que se passe-t-il à partir de l’indépendance ? Pourquoi l’Afrique ne décolle-t-elle pas ? Quelle est la responsabilité des anciennes puissances ?

M. Ferro : les Africains portent une part de responsabilité dans ce qui s’est passé. Lorsque l’indépendance est proclamée, la colonisation du pays s’est faite par ses élites. La principale industrie au lendemain de l’indépendance est l’administration. La fonction publique devient une force de prédation.

J. Marseille : Le pouvoir d’achat des Français a été multiplié par 3 de 1946 à 1975.

Si l’on compare le pouvoir d’achat de la Côte d’Ivoire à la Corée, comment expliquer une telle différence ? Par l’analphabétisme. Ce qui fait la richesse d’un pays, c’est sa matière grise, sa compétence.

L’Afrique est aujourd’hui écartée du commerce international. Elle n’intéresse plus non plus en terme de stratégie.

P. Kipré : les indépendances ont provoqué des espoirs extraordinaires. Hélas le PNB par hab. de la Côte d’Ivoire est passé de 28$ en 1975 à 660$ aujourd’hui (Corée aux mêmes dates de 246$ à 4000$). Que s’est-il passé ?

- Oui à la responsabilité des Africains. Elle est beaucoup plus engagée aujourd’hui. Chaque état, chaque peuple se bat pour lui-même.

- Nos indépendances n’ont que 40 ans. Même la notion d’état n’est pas intériorisée pour les populations. L’extraversion de nos économies est non seulement exploitée par les multinationales mais aussi par nos élites sociales et politiques. Nous n’avons pas encore conscience du développement comme lutte contre la pauvreté pour la dignité.

- Nous ne sommes plus en guerre froide ce qui était le cas au moment de l’indépendance. Les réseaux France-Afrique ont encouragé à produire les matières premières agricoles. La « sahélisation » de la Côte d’Ivoire s’est faite par les encouragements apportés aux décideurs.

S. Brunel : On ne pose la question du sous-développement et de la colonisation que pour l’Afrique. Pendant trente ans, dans le contexte de la guerre froide et des Trente Glorieuses, nous nous sommes tus. Au début des années 90, avec le problème de la dette de l’Afrique, nous avons fait de l’ingérence économique. Avec la fin de la guerre froide, comme l’Afrique a perdu son intérêt géostratégique, on a fait de l’ingérence politique.

Depuis le 11septembre, l’Afrique devient plus intéressante.  C’est le retour des grandes puissances en Afrique. (cf découverte du pétrole dans le golfe de Guinée). C’est « la revanche de l’Afrique ».

Compte-rendu rédigé par F. Beauger-Cornu

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