Les arts en Afrique au 20ème siècle : regards croisés

Ont participé à ce débat : Omar Carlier (PU – Paris I – spécialiste du Maghreb et plus particulièrement de l’Algérie), Gérard Monnier (PU – Paris I – spécialiste de l’histoire de l’art et de l’architecture), Yacouba Konaté (PU – Abidjan-Cocody – critique d’art, membre de l’AICA) et Jean-Loup Pivin (co-fondateur et animateur de la Revue Noire).

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Compte-rendu réalisé par Jacques GALHARDO.

Introduction :

Gérard Monnier introduit le débat : l’Afrique a toujours été très présente dans l’histoire des formes (depuis l’art pariétal du Hoggar aux statues polychromes d’Afrique noire en passant, naturellement par l’Egypte). Les modalités de pénétration dans la culture occidentale (européenne) ont été différentes selon les périodes : la découverte de l’art africain se fait d’abord par le colonialisme. On parle alors « d’art colonial », c'est-à-dire « trouvé dans les colonies » et non pas « produit dans les colonies ». Mais c’est aussi à cette époque que l’on fait couler des bronzes pour les musées britanniques.

A partir de 1870, un nouveau mode apparaît, celui des musées ethnographiques. Les pièces exposées ne sont pas considérées comme des objets d’art, mais relevant du champ ethnologique… C’est aussi une époque où la volonté de classification est importante et où commence à apparaître des processus de différenciation entre les formes d’expressions. La reconnaissance artistique se produit au début du 20ème siècle grâce aux peintres européens (Matisse, Picasso, Vlaminck …) qui hissent (surtout à partir de 1907) le primitivisme au rang des grands référents de l’art. Gérard Monnier note toutefois le point  de vue de l’historien d’art Jean Laude qui estimait que cette « reconnaissance était préparée ».

L’art nègre trouve ainsi sa place dans « le musée universel » voulu par les peintres européens : entre fascination et répulsion... Les premières publications qui le consacrent datent de 1915-1916. L’art nègre est présent à la Biennale de Venise en 1922, puis en 1923, en France. La recherche de l’authenticité pousse les Européens à la hiérarchisation des œuvres mais aussi à l’opposition selon les origines coloniales : un masque trouvé dans une colonie française est « plus authentique » qu’un autre de la colonie  belge ou anglo-saxonne !

Gérard Monnier note au passage que si l’art nègre obtient une reconnaissance au début du siècle, il n’existe pas encore d’artiste de « l’art nègre ». C’est un art anonyme qui est nommé par celui qui l’achète (« c’est un masque de Picasso »…). L’artiste africain naît entre les années 30 et 60, surtout dans l’Afrique francophone et anglophone : à Lagos, Léopoldville…, des écoles ouvrent qui développent le dessin et la peinture autour d’une problématique naturaliste. La 1ère exposition d’artistes africains (Nigérians) se déroule à Londres en 1937 et est déjà associée aux revendications post-coloniales.

Jean Laude ne croyait pas à la postérité de l’art africain. Pourtant, ce dernier bénéficie – après les peintres européens – des commandes effectuées par les églises et les collectionneurs privés dans les années 40 et 50. Ce mouvement permet de développer un art néo-traditionnel. Aujourd’hui les œuvres des artistiques africains peuvent varier entre 10 et 60 000 euros. Néanmoins, 85% de l’art africain traditionnel est hors du continent.

Depuis les années 60, l’art africain a considérablement évolué : d’abord après les Etats Généraux de la négritude où Léopold Sédar Senghor pose la question du panafricanisme des arts. Les difficultés économiques ont eu des conséquences importantes sur les sujets et les formes artistiques : l’art africain a exploré les questions sociales et économiques. La ville est devenue le creuset de la créativité. Le Sénégal (mais aussi l’Afrique du sud) constituent des autorités artistiques. Mais il faut surtout noter un effondrement des frontières culturelles entre l’Afrique et le monde occidental, pour les artistes africains (qui tendent à ne plus revendiquer cette qualité).

1. Qu’elle histoire de l’art africain ?

Gérard Monnier pose enfin une série de questions, pour ouvrir le débat aux invités : dans quelle mesure se constitue aujourd’hui une histoire de l’art en Afrique ? Quels sont les lieux de la production ? Quelle sont le place des traditions, des techniques, des  métiers… dans cet art ? Quelles sont les grandes et principales composantes artistiques, en Afrique ?

Yacouba Konaté poursuit la présentation à partir d’un diaporama (format PowerPoint - projection dans la salle) de différentes œuvres caractéristiques, selon lui, d’une typologie ou de courants possibles de l’art africain contemporain. Il introduit son propos par une sculpture de Willie Bester (Afrique du Sud) qui rappelle un fait divers auquel il est resté très sensible : des policiers blancs tabassant un noir, tandis que l’un d’eux film la scène. Puis, il évoque la peinture naïve d’Augustin Kassi (Ivoirien) et (ce qu’il appelle) la « culture textile ». Berry Bickle (Zimbabwe) investit les vieilles cartes des navigateurs portugais pour explorer le monde de l’écriture. Tandis que Frédéric Brouabé Bruly (Ivorien) s’est rendu célèbre grâce à ses dessins découverts lors de l’exposition de 1989 au Centre Pompidou : « Les magiciens de la terre » (1989). On évoquera également le symbolisme avec les références aux Dogons dans les sculptures de Amahiguere Dolo. Mais aussi les scènes musulmanes de Kan Si (Sénégal) qui montre que l’interdit des images dans l’Islam n’est pas interprété de la même façon en Afrique. De son côté Bodys Isek Kingeklez (ancien prêtre – RD du Congo) crée des architectures imaginaires et utopiques. Enfin, Yacouba Konaté conclut sur les artistiques les plus côtés du moment : Ouattara (Côte d’Ivoire) vivant aux Etats-Unis et étant le plus cher des artistes. Mais aussi Ousman Sow (Sénégal) qui a beaucoup exposé en Europe (notamment à Paris et à Tours).

Pour Yacouba Konaté, ce sont d’abord les artistes qui font l’histoire de l’art (avec des limites). Puis les Etats et les institutions (agents des biennales), les revues et les critiques (rappel qu’il appartient à l’AICA), enfin, les collectionneurs (peu d’Africains). Tous ces derniers suscitent et encouragent la création et l’accumulation d’œuvres.

Jean Loup Pivin rappelle le rôle de la Revue Noire et de l’exposition des « magiciens de la terre » (1989). Il fait remarquer que sur l’ensemble des œuvres montrées par Y. Konaté, une seule a été achetée par les Africains. Les autres ne sont connues qu’en Europe et en Amérique (exception faite de l’Afrique du sud. Il s’agit certes d’une production africaine, mais pour les occidentaux… De même, il tient à noter que seuls une dizaine d’artistes africain parviennent à bien vivre de leur art. Enfin, il insiste sur le fait qu’une histoire de l’art africain suppose de savoir de quoi nous, parlons. Or, pour JL Pivin, nous restons dans une méconnaissance totale du sujet.

Omar Carlier, explique qu’il n’est pas spécialiste de l’histoire de l’art et que par ailleurs, il ne connaît bien que le Maghreb. Ce qui l’amène à s’interroger sur ce qui se passe dans une société dont les traditions sont bâties sur l’interdit de l’image, lorsque cette société s’ouvre aux arts visuels ? Il ajoute qu’il existe, en effet, assez peu de manuel d’histoire de l’art et note enfin, l’écart entre ce qui se dit sur l’art africain et la production réelle.

Jean Loup Pivin complète ces remarques en expliquant que ce que nous connaissons de l’art africain réside dans la « collecte coloniale » (1850 – 1950). Ce qui demeure un moment assez étroit dans l’histoire de l’art. Il n’y a rien entre le 11ème siècle et 1850. Il s’interroge : où sont les fouilles archéologiques qui permettront de faire cette histoire de l’art et des formes ? Il ajoute aussi cette précision : un masque non peint et hors contexte (danse, rite…), n’est pas un masque ! Il conviendrait aussi de ne pas distinguer (opposer) les formes artistiques, comme nous le faisons en occident. Mais JL Pivin rappelle que la problématique est différente dans l’Afrique méditerranéenne, proche de celle de l’occident, et dont la production demeure orientée par le principe de l’ornement.

Omar Carlier indique de son côté que l’expédition de Bonaparte visait dans un premier temps les vestiges romains. Ce n’est qu’après qu’on s’intéresse à l’art musulman. Il faut attendre les années 30 pour que les études et les recherches permettent de montrer l’extrême variété de l’Islam artistique (Georges Marçais (1876-1962), d'abord artiste peintre à Rennes puis à Paris, sera un historien passionné par l'architecture et l'art musulman).

2. l’art africain : entre tradition et modernité…

Pour Yacouba Konaté, la modernité est surtout visible dans l’art photographique. La photographie suppose, en effet, une maîtrise technique, ce qui implique déjà l’idée de modernité. Il note que lorsqu’on regarde les photographies des années 50, les auteurs maîtrisent toute la chaîne technique. Mais il fait également remarquer que les sujets photographiés révèlent également une forme de modernité dans les postures, choix etc. (ce que Y. Konaté appelle le jeu de l’illusion »). Il rapporte, d’autre part, qu’une étude faite sur des clichés refusés par les clients révèle l’importance de « l’entièreté du corps » pour les Africains : une main coupée, une partie de la tête qui manque, mais aussi la photo de l’unique buste est un motif de refus ! L’intervenant en conclue que la modernité côtoie, ici, l’imaginaire traditionnel (superstition…).

Jean Loup Pivin rappelle que la 1ère photographie faite en Afrique date du milieu du 19ème siècle. Le 1er  photographe africain est connu vers 1890, c'est-à-dire de façon très contemporaine de la naissance de la photographie. Ceci suffit pour attester de la modernité de l’art africain. Il ajoute, pourtant que la modernité est liée à l’urbanisation, et à la culture urbaine, très influencée par l’occident. Il établit une opposition entre « art exporté » (modernité – le fait d’une minorité) et « art traditionnel » (textiles, teintures… - des milliers d’artistes en Afrique occidentale, surtout).

Omar Carlier définit, lui, une « modernité de la tradition », comme cette modernité qui réinvente (ou invente) la tradition. Il cite la fameuse robe kabyle qui date en fait du début du 19ème siècle et qui est une copie de la robe de mariée européenne… Il veut également préciser le rôle de l’Etat dans la « modernisation » par ses commandes et cite plusieurs exemples au Maghreb.

Yacouba Konaté retient la définition d’Heidegger à propos de la modernité : « un sujet se place face à l’image du monde et l’interroge ». Il note que ce paradigme est intéressant pour l’Afrique où l’art est avant considéré comme une production collective… Le 1er problème est de retrouver le nom des auteurs (qui ne sont pas Picasso). Et à ce sujet, il remarque que la sculpture africaine est entrée en modernité par la peinture européenne. Du coup, l’Afrique a tourné le dos à la sculpture pour privilégier le chevalet. De là, est né une partie du malentendu. En 1989, lors de l’exposition parisienne des « magiciens de la terre », les curateurs sont occidentaux et vont chercher en Afrique des artistes répondant à une grille  de définition spécifique de l’art africain (comprenant les clichés, malentendus et préjugés liés à cette histoire de l’art africain). Mais parallèlement, pour faire émerger d’autres artistes africains et une autre grille, il faut également une capacité matérielle (réseaux de musée, prospection, biennales, budgets etc.) dont ne dispose pas l’Afrique. On peut se contenter de l’internationalisation actuelle de l’art africain à travers quelques artistes, mais la contrepartie reste une uniformisation du goût et des modèles. Y. Konaté ne pense pas qu’il puisse y avoir d’alternative possible.

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