Les Tours de France destinés à la jeunesse dans la seconde moitié du XIXe siècle, ou la fabrique des héros nationaux.
Intervenant : Christian AMALVY professeur à l’université Paul Valéry – Montpellier III.

Voir d'autres
CR

Compte rendu réalisé par Eric Magne

La communication n’a porté que sur Le tour de France par deux Enfants de Giordano Bruno.

Cet ouvrage est l’héritier d’une tradition plus ancienne et sa première édition de 1877 s’inscrit dans une tradition présente en France depuis la Restauration.

Ce livre de madame Fouillée est important par son tirage  qui dépassait les 8 million en 1977, un siècle après la première édition. Pierre Nora en a fait un lieu de mémoire.

Ce livre est important car ce sont deux enfants qui réalisent ce tour de France, ce qui facilite l’identification du lecteur puisque ce sont les enfants scolarisés qui sont visés. Ce livre évoque un triple apprentissage : topographique, moral et historique.

Les héros présentés sont choisis pour leur contribution à la grandeur nationale, les gloires régionales sont absentes.. 43 personnages font l’objet d’un paragraphe  souvent accompagné d’une gravure :

-10 gloires militaires.

- 25 gloires artistiques.

- 3 ministres et orateurs.

- 5 gloires religieuses.

* Il faut remarquer le poids des civils par rapport aux militaires : ces personnages sont exemplaires car incarnent les vertus que veut inculquer l’école de la République. Par exemple, Buffon qui, malgré sa fortune, ne s’est jamais dispensé du travail ou encore Puget qui fut d’abord un peintre renommé puis, qui entreprit de devenir sculpteur et dut se soumettre à une nouvelle formation exigeante et longue. Sa devise est reprise : «  Nul bien sans peine ». Colbert est un personnage central de l’ouvrage car il s’est totalement consacré au travail et a fait la gloire de Louis XIV avant que ce dernier ne détruise tout par sa politique belliqueuse.

 * Il faut également relever des omissions.

        -Pour le Moyen Age, seuls Du Guesclin, St Bernard et Eustache de St. Pierre sont mentionnés.

        - Le XVIe siècle est peu mentionné.

        - Pour le XVIIIe siècle, on a seulement Montesquieu, La Pérouse, Portalis et Fénelon.

        - Pour la Révolution : Lavoisier (une victime) et  quelques lignes pour Mirabeau.

-     l’Empire est peu présent.

 * La date de 1877 est importante pour comprendre ces choix car c’est l’année où les Français ont voté contre l’Ordre Moral et le livre se met à leur  diapason et expulse les monarques qui ne sont présents qu’entre les lignes de façon marginale. Henri IV est évoqué brièvement à Pau, Louis XIV est présent 6 fois mais comme un repoussoir par rapport au personnage présenté. Par exemple c’est lui qui suscite par ses actions guerrières le mouvement pacifique de l’abbé de St. Pierre. Le seul roi qui s’en tire bien est paradoxalement Louis XVI en tant que promoteur de La Pérouse et constructeur de l’Hôtel Dieu. Napoléon est présent deux fois indirectement à travers le général Mouton et lorsque les enfants sont au large de la Corse. Lazare Carnot est peu présent.

Ces choix s’expliquent par la volonté de l’auteur de gommer tout ce qui peut diviser les Français.

 *Se pose aussi la question de savoir si ce livre est revanchard. Ce n’est pas le cas et il n’est pas non plus pacifiste dans le sens où il promet une violente riposte aux ennemis de la France si ces derniers l’attaquaient. Le livre promeut la paix et la république qui l’incarne. Les enfants sont alsaciens mais lui tournent le dos au début du livre et n’y reviennent jamais et n’en font pas le projet. La fin ne se déroule pas en Alsace mais dans une maison détruite par la guerre et que l’oncle des enfants à rebâtie. Cette maison est le symbole des destructions de la guerre et des bienfaits de la paix.

 Les héros exaltés, Jeanne Darc ( orthographiée comme par Henry Martin pour lui retirer sa dimension religieuse), Du Guesclin sont des défenseurs de la paix et de la France, ce ne sont pas des militaires conquérants comme Napoléon, Louis XVI ou encore Philippe Auguste.

Le livre développe aussi l’idée que la régénération de la France viendra du travail et non de la guerre, d’où la valorisation de Colbert, Riquet (commerce), Sully (agriculture)…

* Ce livre est-il anticlérical ? la réponse est non pour l’édition de 1877 qui présente cinq religieux comme St. Bernard ou St. Vincent de Paul même si ces dernier ne sont pas évoqués pour leur action religieuse mais pour leur rôle civil.

*L’édition de 1905 l’est beaucoup plus. Les personnages religieux et les références religieuses sont épurés. Notre-Dame de Paris, l’Hôtel Dieu, Notre-Dame de Reims disparaissent. Contexte de la séparation des Eglises  et de l’Etat.

Conclusion.

Ce livre n’a rien à voir avec celui de Lavisse. Il correspond à la pensée de Jules Ferry révélée à Jean Jaurès en 1885à propos de ses objectifs : « Organiser l’humanité sans dieu et sans roi ».

Ce livre est le bréviaire de la république et le version de 1905 renforce son côté pacifique car il se termine avec Pasteur, symbole du progrès ( symbole aussi de la colonisation).

L’ouvrage ne s’oppose pas au Lavisse, les deux sont présents et utilisés dans les écoles.

Réponses aux questions de l’auditoire.

A propos de l’idée revancharde : le terme n’est pas présent dans le livre et l’école de la république et cherche plutôt, avec Lavisse, à magnifier la France éternelle. La guerre n’est jamais montrée comme un idéal mais comme une réponse nécessaire à une éventuelle attaque.

Les enfants, André et Julien, sont alsaciens car l’auteur a besoin d’un prétexte pour les faire circuler seuls car l’idée est inconcevable pour l’époque. La fuite de l’Alsace occupée sert donc de prétexte et de justification à cet état de fait.

Il faut garder à l’idée l’arrière plan qui est que la France retrouvera sa grandeur par son travail et aussi par le fait qu’elle est un peuple de liberté et de justice.

A propos de l’importance du fait que l’auteur est une femme : peut-être une des raisons qui fait que le livre insiste sur la science avec l’idée que la paix apporte le bonheur et la mise en valeur de l’abbé de St. Pierre. Cependant , Jeanne Darc est la seule femme présentée dans le livre.

A propos de l’anticléricalisme : le choix du pseudonyme Giordano Bruno est tout à fait révélateur du fait que c’est un philosophe qui fut brûlé sur ordre de l’Eglise à Rome en 1600. les catholiques français ont essayé de concurrencer le livre par un ouvrage identique mais favorable à l’Eglise. Ce fut un échec.

Par ailleurs, les religieux présents le sont pour leurs actions civiles et non en qualité d’hommes d’Eglise.

La Jeanne Darc présentée est celle de Lavisse et Martin. Elle n’entend pas de voix mais suit son intuition et la dimension spirituelle du personnage est absente. Il faut mettre en parallèle l’action de Mgr. Dupanloup qui accélère la procédure du procès en canonisation de Jeanne Darc pour éviter qu’elle soit une héroïne républicaine.

A propos des rois « héros positifs » : Henri IV ou St. Louis sont peu présent ou absent du livre car ils ont été les héros mis en valeur par le Restauration et les royalistes et sont de ce fait des symboles de division des Français. Un personnage comme St. Louis ajoute le défaut d’être un modèle religieux.

   Eric Magne

Voir d'autres CR