Forum du Monde de l’éducation
Penser l’événement
Animé par N. Truong, avec D. Borne, H. Rousso, J. Dubos et A. Mayer

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Compte rendu réalisé par F. BEAUGER-CORNU

Compte rendu de la seconde partie :
Comment parler des événements actuels en classe ?

J. Dubos, en tant qu’enseignant, évoque le problème de la médiatisation de l’événement. Selon lui, les médias proposent l’événement. Il évoque à cette occasion les « métaévénements ».

N. Truong : « Quels sont les événements qui ont posé question aux élèves ? »

J. Dubos distingue trois types d’événements :

- l’événement médiatique, pur fait divers;

- l’événement d’actualité comme le 11 septembre;

- l’événement historique. Ex : la guerre du Golfe permet d’expliquer le présent par le passé. Le professeur redonne une dimension historique mais travaille sans filet.

N. Truong s’adresse à D. Borne : « Quels conseils à donner, quelles sont les façons d’aborder les événements ? »

D. Borne rappelle que lors de la Guerre du Golfe, le ministre a demandé qu’on en parle. Suite au 11 septembre, un autre ministre a demandé qu’on en parle.

En histoire, la position du ministère est que cette discipline soit enseignée jusqu’à nos jours. N’oublions pas que le professeur d’histoire est aussi professeur de géographie.

L’enseignant n’est pas professeur d’actualité. Il faut distinguer le temps présent de l’actualité. Les événements s’inscrivent au bout d’une histoire. Il faut donner une place à l’événement pour éviter toute démarche providentialiste et systématique. La chute du mur de Berlin a été fondamentale dans l’enseignement de l’histoire. On ne peut plus enseigner des systèmes, il faut faire place à l’inattendu, aux choses qui arrivent, non prévues.

Il faut apprendre aux élèves à saisir l’événement dans sa fraîcheur, son inattendu.

L’événement peut aussi permettre de comprendre ce qui s’est passé. ex : Berlin et la guerre froide.

Enseigner l’événement du temps présent désapprend la pensée systématique et apprend la pensée critique.

Face au 11 septembre, le travail d’un professeur est :

-         D’expliquer ce qu’est ce lieu, pas seulement le symbole du capitalisme, mais aussi un symbole (statue de la liberté, arrivée des immigrants…). Il faut expliquer le sens du lieu.

-         De signaler que c’est sans doute un des tous premiers événements ressentis à l’échelle mondiale.

-         De dire que l’Islam n’est pas coupable. Ex : St François d’Assise et l’Inquisition contemporaine.

-         De mener une réflexion sur le rôle des USA. Pourquoi n’aime-t-on pas les USA ?

-         De rappeler que jusque là, les attaques contre les USA ont été périphériques. Le symbolisme  a été d’autant plus fort qu’ils sont touchés sur leur territoire, au cœur même de leur Etat.

-         D’analyser la puissance financière considérable du terrorisme qui utilise des moyens assez sophistiqués. Ce n’est pas aussi simple que la guerre qui oppose les riches aux pauvres.

D. Borne insiste sur le fait qu’il ne faut pas chercher à conclure mais poser des questions.

Questions de la salle :

-         Pour penser le 11 septembre, peut-on utiliser la notion de « crime contre l’humanité » ?

H. Rousso rappelle que l’on ne dispose pas de catégorie pour définir le 11 septembre. Les premières catégories qui viennent à l’esprit sont morales et juridiques. Il est très difficile de parler de « crime contre l’humanité » car qui va juger ? Qui ?

En ce qui concerne le 11 septembre, on parle des tours de Manhattan mais pas du Pentagone. En regardant les tours, je me sens (être humain) visé. En ce qui concerne le Pentagone, c’est la puissance américaine qui est directement visée.

Le « crime contre l’humanité » est un registre. Faut-il inventer de nouvelles catégories ? Nous en sommes incapables.

Une définition du temps présent est proposée : apprendre à penser l’inachevé en tant qu’historien. Penser l’inachevé est une ambition, c’est la critique faite à l’histoire contemporaine.

-         Les scrutins 2002 sont-ils des événements ? Comment les enseigner ?

D. Borne rappelle que nous enseignons des valeurs : démocratie, droits de l’homme, République… Par rapport à cela, un commentaire peut être fait en ECJS. Il faut utiliser l’actualité pour faire débattre les élèves.

« Il faut que l’enseignant se sente les épaules pour parler de quelque chose ». Les classes empêchées de parler de quelque chose sont en fait très rares mais il faut être armé intellectuellement et moralement. Rien n’empêche un enseignant de travailler sa réponse en proposant aux élèves de traiter le sujet demain ou plus tard.

Un nombre trop important d’événements peut tuer l’événement. Ex : Proche Orient. La surabondance d’événements rend illisible.

H. Rousso signale que par rapport au 21 avril, on dispose de tous les ingrédients. Est-ce un accident ? On est devant un mode d’explication de l’événement.

A. Mayer fait alors remarquer que l’histoire  a eu jusque là comme mission d’assurer la généalogie des rois et des souverains, de traiter les causes politiques, religieuses…Dans ces conditions, le 11 septembre pose problème.

Autre problème, ce qui est difficile à faire passer aux USA c’est que  le 11 septembre au fond de l’Inde ou de la Chine est pensé de manière totalement différente.

J. Dubos propose d’inventer un nouvel exercice : partir d’un événement actuel pour montrer aux élèves ce qu’est l’histoire.

D. Borne limite cette possibilité : selon lui, il convient de partir de moments historiques pour voir comment ils se situent.

H. Rousso évoque la Shoah. Comment accompagner la mise en histoire d’un événement par la société du temps présent. Le danger serait de tomber dans le fatalisme historique. Qu’est-ce qui est dans la tête des contemporains face aux événements ?

Le problème des historiens c’est qu’ils ne sont jamais les premiers à faire les récits de l’événement.

A. Mayer conclut en donnant quelques consignes pour traiter l’événement :

- être patriotique mais pas nationaliste

- être méfiant face au pouvoir et aux médias

- insérer l’événement dans une structure plus large d’explication et d’analyse.

Compte-rendu rédigé par F. BEAUGER-CORNU

 

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