Débat : Nationalité(s) en question
Débat animé par
Michèle RIOT-SACEY

Avec également :
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G. NOIRIEL 
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Hans ULRICH JOST (Lausane) 
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Peter SAHLINS (Berkeley)
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Patrick WEIL (CNRS)

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean 

La nationalité est un enjeu politique, sémantique et social.

G. Noiriel fait des recherches sur des questions d’actualité or il est difficile de faire admettre que ce soit aussi une recherche. Nous sommes au carrefour de deux enjeux : politique et social. Auparavant, c’est surtout l’histoire politique qui traitait de ce sujet; aujourd’hui l’histoire sociale s’intéresse aussi à cette question. Une double distance est introduite par rapport à l’actualité : l’histoire implique une distance critique; la dimension comparatiste permet une ouverture internationale.

P. Sahlins nous offre la réflexion d’une Américaine sur la France : cela crée également une distance; le mot « nationalité » a été créé au début du XIX° siècle. L’histoire de la nation commence donc avec 1789 ou peu de temps auparavant. Avant 1789, y avait–il une nation française ? Des Français au sens juridique. Il y avait des privilèges et une égalité des statuts. Seul point commun entre les Français : ils sont sujets du roi. Pourtant la nation est bel et bien vécue même si le mot n’existe pas dès le XIV° siècle. On oppose aubain (d’un autre ban) et régnicole (sujet natif du royaume). Ces appellations sont conditionnées par la naissance. Il y a une autre opposition, celle entre citoyen (XVI° siècle) et aubain, le citoyen étant tout homme, femme ou enfant qui n’est pas né ailleurs. Le citoyen appartient à une catégorie inclusive, à rapprocher de la nationalité. Ce sont les incapacités juridiques qui définissent l’étranger; le citoyen est donc défini à l’inverse de l’étranger. Par exemple, l’étranger est frappé d’incapacité successorale, ce qui entraîne le droit d’aubaine : le roi hérite de l’aubain. Le changement du statut de l’aubain a lieu dès le XVIII° siècle. La révolution de la citoyenneté  fait que le citoyen passe d’un statut juridique à un statut politique (entre 1766 et la Révolution Française) dans le droit privé international, comme le montrent les différents traités. Qu’est-ce qu’un Français quand le droit d’aubaine disparaît ? La Révolution Française conduit à une révolution de la citoyenneté.     

H. Ulrich Jost : il n’y a pas de nation suisse, sauf pour l’extérieur. La nation est un concept français inopérant si on l’applique à l’histoire de la Suisse ou de l’Allemagne. L’intervenant est hostile à la notion de nation : elle n’est rien  mais elle est porteuse de vecteurs historiques importants. Elle est présente en histoire non pas parce qu’elle est une valeur mais parce qu’elle véhicule des valeurs. C’est un concept flou dont on abuse, c’est un tremplin pour le racisme et d’autres phénomènes contemporains. En 1866, l’Allemagne crée une nation; un journal suisse a dit : «  la nation n’est pas un but en soi; elle devrait être un tremplin pour acquérir les libertés politiques ». Elle devrait donc disparaître ensuite. C'est le contraire qui s’est produit. Elle trahit sa propre idée en se définissant car elle a exclu les femmes et différentes communautés. C’est devenu une machine d’exclusion et de répression. Cf la Mittel Europa : la nation est « squattée » pour imposer leur pouvoir à l’intérieur : cela n’a rien à voir avec l’émancipation des citoyens. C’est un échec de la nation. Elle a permis à la société industrielle du XIX° siècle la mise en place d’un développement plus rapide : par exemple le franc suisse (beaucoup de Suisses confondent la nationalité avec le secret bancaire).

P. Weil : la nation est un concept flou ; elle est donc souvent reliée à des options en matière de droits de la nationalité. Le droit du sol (en France) et droit du sang (en Allemagne) sont souvent opposés. La France en 1789 invente le droit du sang comme technique exclusive d’attribution de la nationalité : c’est une rupture complète avec le droit européen. Ce n’est pas une notion ethnique; c’est une nationalité qui se transmet par le père, c’est donc un acquis. A la fin du XIX° siècle, c’est le retour du droit du sol : la nationalité est imposée à des enfants d’étrangers pour qu’ils n’échappent pas à l’armée. C’est pourquoi aujourd’hui les deux droits coexistent. L’ouverture de la naturalisation en 1927 a permis à 100 000 personnes de devenir françaises. C’est une technique de reproduction de l’état par la nationalité, mais elle est indépendante du concept de nation ou de citoyenneté. Par exemple la nationalité a été accordée à tout étranger sous la Révolution, mais pas les droits de citoyen. Pour Renan, la nationalité est la volonté collective d’un groupe. D’où l’effort pour relier nationalité et citoyenneté.

Il y a eu trois crises de la nationalité : sous Vichy (lorsqu’il y a eu des dénaturalisations); à la Libération (lorsque le maintien de la loi de Vichy a rencontré des opposants) et en 1977 (lorsque Giscard a fait partir les immigrés avec la remise en cause du jus solis, ce qui a conduit à un échec : commission Marceau( ?)-Long).

G. Noiriel : le rapport entre les historiens et la nation est important car on utilise des critères historiques pour légitimer la nation. Le débat sur les menaces sur l’identité nationale date des années 80. Le débat a été généré par l’extrême droite, par conséquent une partie des historiens a défendu la République et a considéré comme illégitime les formes d’exclusion de la nation. Or il faut analyser ce qui est, même si on ne l’aime pas. Les formes d’exclusion se sont recomposées; toute forme d’intégration implique une exclusion : c’est une constante dans l’histoire sociale. Le national est confondu souvent avec l’universel. L’histoire du mot « nationalité » est l’objet d’un enjeu. L’émergence d’un mot est-elle importante ou pas ? La « nationalité » apparaît sous la III° République : ce n’est pas un hasard. A cette époque l’intégration des ouvriers dans l’état-nation n’est pas garantie, ni les droits que l’état leur donne.

P. Sahlins : l’apparition du mot « nationalité » coïncide avec l’immigration industrielle : ce n’est pas un hasard. La préhistoire de ces faits sociaux se situe sous Louis XIV. Se font naturaliser les étrangers qui font bouger la France : pas les paysans, mais les marchands, les officiers, le secteur économique tertiaire (la « France du mouvement »), le clergé. La Chine, la Turquie et surtout les pays frontaliers (en majorité) sont concernés. La religion est un facteur important. La France attire les réfugiés catholiques.

H. Ulrich Jost : la nation au départ est reliée à la question de la mobilisation du peuple, c’est un instrument pour mettre en marche un mouvement social puis politique. Cela conduit à la construction d’un état-nation. En Italie, le discours national est très fort au XIX° siècle : la nation  a une valeur idéale, elle est littérairement riche. Mais le peuple italien ne construit pas cette nation. D’où un résultat décevant. Seul Mussolini a fait de l’Italie une nation. Le processus de mobilisation peut donc être positif ou négatif (par exemple un système anti-libéral et répressif). En ce qui concerne le mouvement ouvrier, la nation peut être utilisée pour mater une autre forme de citoyenneté. La nation a réussi à mater le mouvement historique profond d’une classe ouvrière qui prend en main le destin de la communauté nationale. L’intervenant pose ensuite le problème du lien entre l’Eglise et la nation (devenue une sorte d’Eglise ?). Le mysticisme national était partagé même par la gauche autrefois. C’est une question transcendantale ou religieuse.

P. Weil : rompre avec le droit féodal (où le régnicole est soumis au roi) a permis la création de la nationalité, qui se transmet même à l’étranger. En 1803, le droit individuel de l’homme s’exerce au détriment de la femme : elle prend la nationalité de son mari; elle peut ainsi perdre son emploi de fonctionnaire ou perdre le droit de divorcer si elle est italienne. En 1827, la femme est libérée de son obligation de prendre la nationalité de son mari; cela n’entrera dans les faits qu’en 1877. En Algérie, les Algériens sont français de droit; en fait ils doivent être naturalisés pour être vraiment français; mais on tient le discours républicain de la liberté et de l’égalité en Algérie. C’est un problème encore aujourd’hui avec les « Algériens français ».

G. Noiriel : la nationalité désigne la qualité de français jusque sous la III° République. Après  cela signifie l’appartenance à la nation. L’histoire politique analyse les discours; l’histoire sociale analyse comment les arguments de la nation sont mobilisés et légitimés par exemple chez les ouvriers. L’existence d’un mouvement internationaliste des ouvriers entraîne la nécessité de revendiquer la priorité à l’emploi par rapport aux étrangers.

QUESTIONS :

L’institutionnalisation de l’identification se produit surtout pendant les guerres. Par exemple, sous Vichy a été créé le certificat de non-appartenance à la race juive, puis découlant de celui-ci, la carte d’identité. Après la guerre, elle a été utilisée pour surveiller les travailleurs coloniaux, avant d’être généralisée.

Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

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