LE JUIF EST-IL UN ETRANGER ?
Débat organisé par l’Histoire et animé par Jean-Michel. Gaillard.
avec M.Winock, M-A Matard, A.G. Slama, A. Wieviorka.

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Compte rendu réalisé par Michel Souvigny

J-.M. G. présente le plan qui sera suivi :

Marie-Anne Matard :

L’histoire des juifs est placée sous le signe de la mobilité et de l’étrangéité (je n’aime pas le terme étrangeté, qui peut prêter à confusion) :

C’est le début de la Diaspora avec des communautés importantes installées à Alexandrie, Athènes, Rome, etc. Ce à quoi s’ajoute une émigration volontaire (commerce).

D’où la nécessité de s’installer en sauvant sa culture.

Au Moyen Age, on assiste à une succession d’expulsions :

Même chose aux XIXème et XXème s. : à la suite de pogroms, plus d’un million  de juifs quittent l’Europe centrale de 1880 à 1914, surtout pour les Etats-Unis.

Il existe donc plusieurs peuples juifs :

Les populations « accueillantes » les perçoivent comme des étrangers présents partout, d’où le mythe du « complot juif ».

De la part des populations d’accueil domine aussi une volonté de séparation : le christianisme est devenu la religion officielle de l’Empire romain : le judaïsme est l’autre grande religion monothéiste et concurrente, car elle fait du prosélytisme.

Plus tard, l’Eglise et les rois permettent aux juifs de pratiquer leur religion, mais en les séparant :

D’où la naissance d’un antisémitisme chrétien : les chrétiens diabolisent les juifs, peuple déicide, qui empoisonne les puits, tue les enfants etc…

Pourtant, c’est un abbé qui, avec un petit groupe, prend le parti de l’assimilation des juifs en France : l’abbé Grégoire, au début de la Révolution

Michel  Winock :

En 1789, on comptait 40 000 juifs en France, sur 28 millions d’habitants. Ces juifs vivaient dans 4 endroits principaux :

Souvent usuriers, par interdiction d’autres professions, ils parlent yiddish et sont en but à l’hostilité de la population ; ils sont considérés comme des étrangers et sont ashkénazes

L’abbé Grégoire et son groupe se heurtent à une double opposition :

·        à droite, l’abbé Maury, pour lequel les juifs ne peuvent pas être français.

·        à gauche, l’Alsacien Reubell, représentant en mission et futur directeur.

L’émancipation officielle eut lieu en septembre 1791 : tous les Français sont alors des citoyens à part égale.

Sous l’Empire, Napoléon poursuit le mouvement d’émancipation partout en Europe, mais il est sensible à l’opinion d’Alsace-Lorraine : il prend le « décret infâme » qui restreint un certain nombre de libertés; mais il crée le Grand Consistoire.

Louis XVIII, en 1818, ne renouvelle pas le « décret infâme », renouvelable tous les dix ans.

Après la révolution de 1830, Louis-Philippe accorde l’égalité pour la religion : les rabbins sont rémunérés, comme les prêtres  et les pasteurs.

En Algérie, en 1830, on comptait environ 5 000 indigènes juifs; l’émancipation des juifs se fit en plusieurs étapes :

L’antisémitisme apparaît à partir de 1880 : pour Drumont, Barrès etc., le juif est un étranger, assimilé aux Allemands (immigration des juifs d’Alsace-Lorraine qui ont choisi la France, comme Dreyfus).

On voit aussi apparaître un antisémitisme biologique : le juif est un poison étranger qui a pénétré le corps français.

J.M. Gaillard pose alors une question :

Dans l’entre 2 guerres, se créent des états racistes. L’effet est-il contagieux ?

   M.A. Matard :

A partir de 1933, les antisémites ont leur état, à fondement surtout biologique, racial : même converti, le juif reste juif.

Certains états, par fascination (Italie, 1938), à cause de la pression de mouvements politiques (Hongrie, Roumanie, 1938 : dénaturalisation ou expulsions) ou pour couper l’herbe sous le pied des forces fascistes, prennent des mesures antifascistes.

J.M. Gaillard :

L’antisémitisme est-il impossible après la Shoah ?

A.Wievorka :

Dans l’après-guerre, apparaît une « exception française » : les juifs qui ont été déportés choisissent de revenir en France (alors que l’Allemagne est interdite aux juifs par les autorités juives).

En France, les juifs sont réintégrés immédiatement dans leurs droits (en métropole, non en Algérie, où la législation était plus dure que sous la France de Vichy) ; d’où un consensus : la période de Vichy est une parenthèse, les juifs sont des citoyens comme les autres, et on continue comme s’il ne s’était rien passé, et que le statut des juifs n’avait jamais été créé.

J.M. Gaillard :

L’antisémitisme est pourtant revenu, et le passé aussi (procès Barbie, Touvier, Papon…) : quand, et pourquoi ?

A.G. Slama :

Les juifs eux-mêmes se rallient à la République, et montent les échelons : ils occupent des postes importants, ils deviennent « visibles » ; ils sont critiqués par certains, et se disent (comme ils l’ont toujours fait) : « c’est la faute de la génération d’immigration juive suivante ». Souvenons-nous des juifs de l’entre 2 guerre, qui critiquaient les juifs arrivant d’Europe orientale).

Par ce comportement, les juifs fournissent là une des meilleures preuves de leur intégration !

Après la guerre, les juifs ne songent pas à réveiller les mauvais souvenirs.

Du côté du pouvoir et de l’extrême droite, on a très mauvaise conscience : on s’oppose au capitalisme, Le Pen, en 1954, parle de « malaise physique » à propos de Mendès-France. Les héritiers du maurassisme (Rivarol) prennent le détour de la guerre d’Algérie.

1962 marque la fin de la guerre d’Algérie et l’arrivée d’une forte population séfarade en France : « les juifs d’en haut » vont en France, les autres en Israël. Autre élément important : l’apparition d’Israël (1948) : les juifs de France ne se sentent pas sionistes; or, pour Israël, ou vous êtes un bon juif, et vous venez en Israël, ou on se méfie de vous… Antisémitisme et antisionisme ne se conjuguent pas.

J.M. Gaillard :

Certains disent : « on veut bien les intégrer, eux ne veulent pas ». Est-ce que les juifs se sentent étrangers, ont-ils envie de s’intégrer, ou ont-ils peur de disparaître ? Les juifs ont-ils joué le jeu  de l’intégration depuis le XXème siècle ?

M. Winock :

Oui, mais avec la crainte des religieux que  les juifs ne s’émancipent de leurs communautés originelles, et perdent leur foi. C’est ce qui s’était passé en France au XIXème s. (Halévy, Naquet…). La France était considérée  comme la Nouvelle Jérusalem.

     J.M. Gaillard :

C’est pourtant à la fin du XXème s. qu’apparaît le sionisme ; est-ce un échec de la procédure d’intégration ?

     M.A. Matard :

Le salut viendra de la fondation d’un état national juif : Herzl vient d’Autriche-Hongrie, empire antisémite.

Pour Herzl, si les juifs ont un état-nation, ils seront comme tout le monde, et cet état devra être un état pionnier pour montrer au monde ce dont les juifs sont capables.

En 1897, le Bund veut rejoindre la social-démocratie, et constituer les juifs en communauté nationale.

Le sionisme, au départ, n’a pas de succès : les juifs sont en voie d’intégration, en France, en Italie…

     J.M. Gaillard :

Après la Shoah, les juifs sont-ils tous partis ?

    A.Wievorka :

En Pologne, après la guerre, les juifs sont victimes de pogroms.

Le poids de la Shoah ressurgit dans les années 60

·        L’arrivée des juifs d’Afrique du Nord « rejudaïse » les juifs, avec plaisir et ostentation (port de la kippa par ex.) : retour aux identités, régionalisme, lente montée de la mémoire de la Shoah, guerre des 6 jours; voir le texte de R. Aron :

·        Appartenance horizontale (à ses ancêtres)

·        Sentiment de solidarité.

La guerre des 6 jours est une sorte de révélation de ce que la Shoah avait enfoui :

·        Les juifs ont le sentiment de former quelque chose.

De Gaulle dit que le sionisme est très ancien (« l’année prochaine à Jérusalem ») et que le peuple juif est « sûr de lui et dominateur ».

J.M. Gaillard :

N’y a t-il pas eu  une tentation pour les juifs de France de se regrouper? Y a-t-il eu un communautarisme des juifs de France ?

A.G. Slama :

2 éléments ont joué un rôle décisif :

·        Le discours de De Gaulle en 1967, discours motivé par le désir de reprendre place dans le monde arabe.

·        L’agression contre Israël, que De Gaulle conteste.

En même temps, Israêl a besoin des juifs de la diaspora : les juifs se revendiquent, non plus comme Français-juifs, mais comme juifs-Français : on se marie davantage dans la communauté juive.

Puis, on saute à la guerre du Golfe : une nouvelle communauté apparaît, la communauté musulmane, qui s’oppose à la communauté juive :

·        Phénomène des identités réactives

·        Frustrations relatives : ce qui est accordé à l’un doit être accordé à l’autre.

Michel Souvigny

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