L’image de l’étranger dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie
Animé par D. Borne, avec J. Scheibling et L. Wirth

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Compte rendu réalisé par F. BEAUGER-CORNU

 Au préalable, D. Borne cite les propos du recteur C. Nique, lors de la présentation des RV de l’histoire : « l’école n’avait pas été instituée pour assimiler des étrangers mais des Bretons, des Auvergnats… »

Dans une seconde remarque, il cite Pierre Vidal Naquet qui a rappelé qu’il y avait dans l’histoire grecque trois manières de dire le mot étranger : xenos (citoyen d’une autre cité), métèque (celui qui habite avec) et les Perses (barbaroï).

En français, nous disposons juste d’un mot pour dire tout cela : le mot immigré avec toutes les difficultés que cela comporte (immigré étranger, immigré devenu français). On a un réel problème de mot auquel il convient de réfléchir.

D. Borne propose de conduire le débat en distinguant trois temps :

- quelle image de l’étranger dans l’enseignement sous la IIIème république ?

- quelle évolution ?

- comment faudrait-il parler de l’étranger à nos élèves ?

J. Scheibling (géographe) a travaillé sur les manuels et les instructions officielles depuis 1882.

Sa conclusion : l’ensemble de la géographie a contribué à véhiculer une idéologie raciste, xénophobe et colonialiste. Le racisme latent date-t-il de la IIIème république ou est-il antérieur ? Dans quelle mesure l’enseignement ne porte-t-il pas une part de responsabilité dans le racisme ?

De 1882 à 1968, l’étude des races est au programme de géographie. Il faut attendre 1974 pour voir abandonner l’étude des races. Vidal de la Blache oppose le peuple de nature au peuple cultivé.

J. Scheibling a aussi relevé des confusions entre les termes : races, peuples, nations, civilisations…

En 1950, on dit dans un manuel que la race noire est la moins civilisée.

Le mélange des genres va toujours dans le même sens : il y a une hiérarchie sur la terre. La France s’inscrit au sommet de la pyramide. Elle a su tirer le meilleur de toutes les races. Son territoire est le plus harmonieux. Des jugements de valeur sont portés sur les différentes races, les différents genres de vie du fait du lien entre sol et homme.

Les races servent de légitimation à la colonisation. L’étranger se définit, lui, comme l’ennemi héréditaire européen.

L. Wirth (historien). En histoire, quand on parle du peuple colonisé, on le désigne comme « l’indigène ».

La situation de la fin du XIXème siècle a largement duré jusqu’en 1950. Dans le Petit Lavisse CE 1954, Bayard défend un pont contre l’ennemi. Le mot « ennemi » est cité 6 fois mais jamais défini.

L’étranger est le voisin européen et d’abord l’ennemi. L’étranger proche, le voisin, c’est l’Allemand.

L’étranger proche peut aussi être l’ancien ennemi (scène du bourgeois de Calais, Fachoda…).

L’Anglais (Mallet et Isaac 1961) est un étranger proche mais exotique. Ces étrangers sont maintenant des alliés d’où une relation particulière avec eux.

L’étranger lointain est le colonisé. Sous couvert d’intégration, on ne parle pas des colonisés comme des étrangers mais comme des indigènes.

Le mot race n’est pas dans les programmes d’histoire, ni dans les manuels depuis 1902.

J. Scheibling : L’évocation de races renvoie au caractère scientifique de la géographie. Au début, on distingue 12 races dans les programmes puis leur nombre se réduit. Vidal de la Blache en 1911, sous couvert d’anthropologie examine les races. Il y a un amalgame entre la préhistoire et la situation actuelle, le degré d’avancement étant plus ou moins important.

Le terme « d’indigène » est utilisé par les géographes pour distinguer la France de ses colonies.

D. Borne rappelle alors que le statut juridique n’est pas le même en Algérie entre indigènes et Européens.

L. Wirth a relevé le terme de « nègre » dans le Lavisse de 1954.

Il lit une rédaction d’élève de 1915 dans laquelle le mot de « race » apparaît. Il désigne alors les Allemands.

En octobre 1914, un instituteur évoque « l’ambition barbare ». Le « barbare » et « l’étranger » s’appliquent donc à l’étranger proche.

D. Borne : Est-ce que le mot « immigré » apparaît dans les manuels ?

J. Scheibling : Les « immigrés » apparaissent dans le cadre de l’étude de la population française. Il n’y a pas de jugement de valeur qui est porté. Les données sont purement statistiques.

L. Wirth : Pas « d’immigré » dans les manuels sauf à partir de 1980-1990.

D. Borne : Dit-on que la population est composée d’apports étrangers successifs ?

J. Scheibling répond que la conception de la nation est ethnographique. C’est une conception de la nation à la Michelet. Il projette ensuite les pages d’un manuel où sont associés portrait et paysage avec le commentaire suivant : « le peuple français résulte de la variété des races et du milieu géographique ». L’attachement au sol est très profond. Les différents types raciaux français résultent du sol.

L. Wirth évoque le Lavisse de 1954 : Sur une double page Gaulois/Romains, on se demande qui a gagné. On a l’impression qu’on a pris au vainqueur ce qu’il avait de meilleur pour en faire la civilisation gallo-romaine. Idem pour Clovis.

Le territoire français apparaît comme « béni des dieux », le meilleur. C’est le génie français.

D. Borne sur l’évolution : Quels sont les changements intervenus après la seconde guerre mondiale alors que l’Allemand ne peut plus être considéré comme l’ennemi ? Comment joue l’idéologie ? L’image du Bolchevik soviétique ?

L. Wirth situe le changement à la fin des années 1950. Il cite le manuel de Braudel (1959). Les deuxième et troisième trimestres sont consacrés aux grandes civilisations, considérées en tant que telles et non pas comme référence à la France.

Un article de Libération situe le changement au début des années 1960 « Quand l’étranger n’est plus un ennemi ». Le changement est dû à des rapports différents avec l’Allemagne.

L’autre changement, c’est la décolonisation. Les perspectives se transforment.

L’étranger « idéologique » apparaît avec la domination des supergrands américain et soviétique.

J. Scheibling : Selon lui, quelque chose se produit à la fin de la guerre et au moment de la décolonisation. A partir de 1962, des inflexions, abandons, mises à jour sont perceptibles. Des questions nouvelles voient le jour comme développement et sous-développement à la place des populations sauvages.

Scheibling dit que Lacoste a été une véritable rupture pour lui.

A l’enseignement des races dans les années 1960, on ne substitue pas l’anti-racisme sauf par l’intermédiaire des noirs-américains. L’image du melting-pot (sauf pour les noirs) fonctionnait alors très bien.

D. Borne : Les immigrés ne sont toujours pas dans les manuels en 1960 et pourtant ils sont là !

J. Scheibling explique qu’il n’y a pas « d’immigré » car il n’y a pas de crise.

L. Wirth dit que lorsque la société nous renvoie des problèmes, il faut un certain temps avant qu’ils ne soient intégrés dans les programmes et les manuels. Les « immigrés » apparaissent dans les années 1980.

D. Borne sur le moment présent : Comment parle-t-on de l’étranger aujourd’hui ?

J. Scheibling : On n’en parle pas sauf à propos des banlieues des villes. En revanche, le problème des ghettos n’est jamais abordé. L’étranger n’apparaît pas dans les manuels de même que la notion de peuple ou de nation.

L. Wirth projette un manuel d’éducation civique de 1997 (niveau primaire). Le modèle d’intégration est abordé et opposé à celui des USA (salad bowl). Le problème de la nation, de l’Etat-nation est abordé du point de vue de l’avenir de l’identité française. Le débat sur l’étranger est beaucoup plus celui de l’étranger parmi nous.

D. Borne : Les juifs ?

L. Wirth : les manuels des années 1960 ne parlent pas des mesures prises par l’Etat français. A l’heure actuelle, les informations données par les manuels sont assez précises.

Questions :

Un collègue de la Réunion dénonce l’absence dans les nouveaux manuels d’allusions au problème des Comoriens à la Réunion.

D. Borne rappelle que les programmes d’histoire-géographie ont été adaptés dans les Dom-Tom mais on ne sait pas parler  de ces Français. Le ministère n’a pas de responsabilité sur les manuels. Sur les problèmes de la Réunion et plus généralement de l’Outre-mer , le travail est à faire par les enseignants.

La GB, l’Allemagne et l’Italie ont-ils un rapport plus simple à l’étranger ?

L. Wirth : Pour l’Allemagne, ça dépend des Länder. En GB, pas de programme.

D. Borne : La plupart des pays européens ont un programme d’histoire qui donne une place plus grande à l’histoire nationale. On ne sait pas comment faire une histoire européenne qui ne soit pas une histoire des nations européennes.

L. Wirth : En France, l’étranger est d’une certaine façon sommer de s’intégrer. Le bon étranger est celui qui s’intègre.

 Conclusion :

J. Scheibling : Il faut aller vers plus d’ouverture, cesser d’avoir une vision hexagonale pour aller vers un monde plus relationnel. Il n’est pas question de porter un jugement de valeur, d’établir une hiérarchie : tout ceci est caduque dans les manuels. Il faudrait que cela se traduise dans la réalité de l’enseignement.

Les programmes doivent-ils changer ? En fait, ils laissent les enseignants devant leurs responsabilités. Rien n’empêche les enseignants d’affronter les questions.

L. Wirth : Evitons les amalgames immigré et étranger, les visions téléologiques de l’Europe et les prospectives. Il faut accorder toute leur place aux civilisations lointaines.

D. Borne : En ce qui concerne les immigrés en France, un travail de géographie politique est à faire sur les villes et leur banlieue. Le politiquement correct n’empêche pas de dire les choses. La géographie permet d’aborder le territoire, les phénomènes de ghetto.

Compte-rendu rédigé par F. BEAUGER-CORNU

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