CONFERENCE : L’étranger au Moyen-Age
Cl. GAUVARD

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean 

Dès 1858, la notion d’étranger au Moyen -Age devient objet d’une histoire du droit. La notion d’étranger est peu claire : où commence l’étranger au Moyen - Age ? La notion est ambiguë . En 1524, François I° donne ordre de quitter le royaume aux étrangers non pourvus de lettres de naturalité (concédées par le roi); par conséquent est étranger celui qui est né hors du royaume. Le peuple est-il conforme à cette définition ? Trois ou quatre siècles auparavant, il est plus difficile de définir l’étranger : étranger au royaume. A la châtellerie ? Au village ? En 1284, l’étranger est celui qui n’est pas natif de la ville et n’y prend pas racine. Il y a plusieurs sortes d’étrangers : l’aubain (de « alibi nati » : « nés d’ailleurs », ou de « alium banum »: « d’un autre ban », « d’un autre contexte seigneurial »); l’hôte (venu d’une autre seigneurie pour défricher); le forain (qui habite hors de la ville). L’ambiguïté des mots entraîne la fluidité des statuts. Du point de vue sociologique, qu’est-ce qu’un étranger dans un village ? Dans le village, il y a des rites (cimetière, fêtes) qui créent une cohésion sociale qui va de paire avec la maîtrise de l’espace qui entretient l’esprit de clocher. Dans cet espace, l’intrus est l’étranger d’à côté. Il ne dépend pas de ce rituel mais il a ses propres rituels. Cela entraîne des conflits de villages. Les villageois ont conscience de former une identité. Cela cause des batailles rangées entre villages (pour exclure l’étranger) lors de charivaris par exemple. L’espace est ritualisé. Ces hommes et ces femmes ont une grande mobilité : ils émigrent dans les villes. L’arrivée d’étrangers est donc permanente et nécessaire, sinon ce serait une catastrophe. Ils jouent un rôle vital dans la développement des villes lors des crises aux XIV° et XV° siècles : les villes sont dévoreuses de vies humaines. Ces étrangers sont-ils en haut ou en bas de l’échelle ? Parmi les Espagnols et les Portugais, on compte quelques médecins. Chez les Italiens : des jongleurs, des pelletiers. Chez les Allemands : des prostituées, des valets, des gardes de prison. Il y a donc une hiérarchie sociale dans l’intégration. C’est pourquoi il y a un lien entre l’étranger et la délinquance. Les étrangers alimentent-ils une paupérisation ?

Prenons l’exemple d’un noble. Sa clé, c’est le latin, pour se faire ouvrir la porte des cours étrangères. Sa devise est une sorte de carte d’identité; ses lettres de recommandation (qui lui fournissent des listes d’hébergement) sont des marques d’honneur codées; de plus il apporte des dons. Le code de l’honneur implique l’honneur d’être reçu et de recevoir. Les nobles sont mobiles. Les voyages à l’étranger font partie de leur cursus et donc de la fama. On va en Prusse par exemple pour combattre le sanglier, et l’on peut obtenir une riche héritière au retour. Même chose pour les Croisades : c’est une initiation nobiliaire vers l’inconnu et l’honneur. Les tournois sont des fêtes de l’aristocratie (il y a aussi des tournois de villes : les nobles vont ainsi de ville en ville pour accroître l’honneur de la ville). Les clercs sont toujours étrangers à l’endroit où ils sont : ils quêtent des bénéfices. Ce sont de grands errants de l’espace médiéval. Les abbés sont souvent étrangers dans leur monastère. Dans le monde des universités, on fait ses études et l’on enseigne dans différentes universités. Dans les armes, on recrute des étrangers. Dans les administrations (baillis et sénéchaux), on choisit des non – natifs de leur circonscription pour ne pas bénéficier ou de haine ou de faveur. L’étranger est celui qui est hors des liens de solidarité.

Peut-on supporter l’étranger ? En termes politiques, il y a un durcissement dans la codification du statut d’étranger, d’où la création des lettres de naturalité. On a conscience de limites : le régnicole (au début du XVI° siècle) s’oppose à l’étranger. Il y a un lien entre le durcissement de la notion et la notion de frontière (entre l’intérieur et l’extérieur). Ce basculement se produit au XIV° siècle. La frontière (linéaire) remplace les marches, trop élastiques. Cela accroît l’attention portée aux étrangers au royaume. Il y a une cristallisation sur eux du fait du développement de la fiscalité et de l’administration. Est étranger celui qui n’est pas sujet du roi. Il est placé sous la protection du roi; cela entraîne-t-il qu’il dépende du trésor du roi comme les lépreux ou les Juifs ? L’étranger vit aussi sous la menace du prince : une expulsion est possible (par exemple les Lombards sous Philippe le Bel). Avant la guerre de cent ans, les Français ont été expulsés d’Angleterre et les Anglais de France, avec des cas d’arrestation et l’obligation pour les taverniers de déclarer qui ils hébergeaient.

              D’un point de vue sociologique, à la cour des grands, l’intégration est la plus facile car, dans la tradition mérovingienne, l’intelligentsia crée des liens internationaux grâce au latin parlé dans l’ensemble du regnum. Quelle est l’opinion du peule au sujet de l’étranger ? Elle varie de l’hostilité et la xénophobie à l’accueil cordial. Il peut y avoir lynchage en cas de viol. L’étranger focalise les peurs : il peut apporter le poison (empoisonnement des puits); celui–ci est une arme invisible et donc donné par quelqu’un qu’on ne connaît pas. L’étranger devient bouc-émissaire. Les frontières sont des objets de crainte, avec toute la mythologie de la violence frontalière entre deux pays ou deux royaumes. Il y a une construction de stéréotypes, même s’il n’y a pas de persécutions : les étrangers sont des bannis ou des pillards, ils sont liés aux espions; ils sont donc parfois victimes d’un processus d’exclusion. On leur attribue des crimes fantasmés : sexuels par exemple; dans le même ordre d’idée, l’homosexualité colle à la peau de l’étranger. Le statut de l’étranger oscille entre intégration et exclusion.

            Est-ce facile de vivre au Moyen - Age pour un étranger ? On a l’exemple d’accusation de mal parler le français envers des étudiants qui en fait parlent le latin (université de Paris). On a peur de la pauvreté dans laquelle les étrangers peuvent tomber et de la criminalité qui peut s’en suivre. La souffrance d’être étranger de ne peut être saisie que par bribes. Exemple de plainte : la crainte de mourir en pays étranger, même pour le haut clergé alors qu’ils ont acquis la gloire en pays étranger. L’étranger peut refuser de s’intégrer et rester dans son quartier, dans sa confrérie (par exemple, St Yves : confrérie des Bretons à Paris), par peur de l’autre. L’exil est source de souffrance, comme le bannissement avec lequel il est souvent associé. Mais il y a des mariages mixtes, même pendant la guerre de cent ans. Quand on veut dénoncer quelqu’un ou l’exclure, s’il est étranger, c’est là-dessus que l’on va mettre le doigt. Quand il y a une dépression démographique, l’intégration est plus facile, y compris dans la haute société (on a l’exemple d’un échevin à Reims). Il y a un balancement entre inclusion et exclusion, entre xénophobie (toujours latente dans la société du Moyen - Age, dans l’espace local avec la création de frontières) et l’accueil, la nécessité d’un horizon éclaté (quête de Dieu, voyage…). L’étranger est l’homo viator, parfois tout simplement vers l’au-delà. Il vit dans deux dimensions : le village et le royaume, car la France est une mosaïque de pays malgré un roi unificateur, d’où cette oscillation.

QUESTIONS :

Le pèlerin est un cas à part : c’est un étranger bien intégré; il a des lieux d’accueil, il est respecté, il a un statut. Quand il y a eu une limitation des pèlerins au XIV° siècle, c’était pour limiter les mauvais et protéger les bons pèlerins. Le pèlerin est un étranger qui transcende l’espace dilaté : il permet le contact avec Dieu et permet ainsi le salut pour la collectivité; même chose pour les clercs : eux aussi sont bien intégrés. On ne dit pas qu’ils sont étrangers (pourtant, il y a de l’anticléricalisme à cette époque). Le pèlerin est considéré de la même façon s’il ne commet pas d’actions mauvaises et s’il respecte certaines règles.

Les quartiers sont organisé autour de métiers. Pour les élites, la répartition est plus complexe : il y a une migration vers le centre des villes mais il n’y a pas partout d’opposition entre le centre et la périphérie (où sont concentrés les pauvres et les gens de métier), comme à Florence. La ville au Moyen - Age est un puzzle de quartiers où pauvres et riches vivent côte à côte.

Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

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