« TERRIFIANTE BEAUTE DU XXème SIECLE »

Intervention de Paul Chemetov, samedi 13 octobre 2001, à la Maison de la Magie (Blois). P. Chemetov est architecte. Il fut l’un des premiers à dénoncer dans les années soixante le « bien fondé des grands ensembles ». Il entretient, par la suite, des relations professionnelles avec les collectivités territoriales : il est l’architecte du bâtiment du ministère des finances, du muséum d’histoire naturelle ou du tramway de St Denis. Cette expérience professionnelle en fait un spécialiste de l’architecture et de son environnement. Les mots et les phrases entre guillemets rappellent les propos significatifs ou les citations  de P. Chemetov.

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Compte-rendu réalisé par Jacques Galhardo.

 « les villes attirent les désirs néroniens »

P. Chemetov introduit son propos en revenant sur la signification de l’attaque du World Trade Center le 11 septembre 2001. Il qualifie l’événement de « septembre noir de New York » et « d’Apocalypse Now » mis en action. Ce n’est pas la première fois, selon lui, que « les villes attirent les désirs néroniens ». Il se souvient alors d’une inscription en latin sur un porche de Marseille : « la ville se consume en d’immenses actions ». Il voit là l’un des paradigmes de ce siècle « terrifiant » et rappelle le poème de Bertold Brecht sur Manhattan : Pauvre bébé.

La « modernité » décrite par l’auteur dramatique allemand (et qui rappelle dans ce poème Baudelaire) se conjugue à la notion « d’organisation » pour aboutir au concept de « modernisation ». Le 11 septembre, la vitesse a rencontré, selon P. Chemetov, la performance et « quelque chose dans l’horreur s’est effondré »… L’événement dépasse celui de la chute du mur de Berlin et il critique alors la « globalisation » avant de revenir sur quelques moments dramatiques du XXème siècle.

La Shoah n’est pas seulement horrible, en soi : ce qui forme l’horreur c’est « l’organisation ». Avec Dresde, Tchernobyl, Hiroshima…, le siècle est celui des cataclysmes. D’où tire-t-il alors cette « terrifiante beauté » ?

 « le planisme français fut une forme réussie du soviétisme »

 Sur le plan de l’esthétique, la mort, l’industrie de guerre, les pulsions du passage à l’acte, la violence du langage…, forment l’acte de naissance du XXème siècle. Ceci a-t-il des conséquences sur l’aménagement de l’environnement des hommes ? L’architecte explique alors que la politique urbaine n’est que la continuation de la guerre par d’autres moyens. Il déclare que « le planisme français fut une forme réussie du soviétisme », favorisée par la une technique élémentaire de la construction : le béton. A la Libération, il y a pourtant débat entre Pleven et Mendés France : l’automobile contre le logement ! L’acier contre le béton…

Il poursuit sa critique en évoquant la naissance du « technicien français » et de la « logique de chantier ». P. Chemetov rapporte les propos de J. Dubuisson, se souvenant qu’il avait à peine le temps d’imaginer, que le relief était déjà arasé par les engins. Trois millions de logements construits ainsi (chacun de 100 m² environ) ont représenté une masse importante et soudaine dans le paysage français. Il insiste sur le décalage et le choc entre le « temps de renouvellement français » et la « lenteur traditionnelle » de la France. Finalement, P. Chemetov regrette la disparition des meilleures terres arables du bassin parisien et la destruction de ses paysages.

La France entre ensuite dans l’ère du lotissement généralisé : 15 fois plus d’hectares que l’espace occupé par les logements collectifs, 1/5 de la France. Le Corbusier est à l’origine de l’occupation de  10% de la surface du pays,  par les « établissements humains » (dont la moitié sont les « bicoques ». P. Chemetov s’interroge : existe-t-il, aujourd’hui, une substitution possible à cette évolution ? Et comme pour répondre, il ajoute : faut-il célébrer cette condition passagère ?

 « Les déchets sont des objets esthétiques de référence »

 L’architecte inscrit cette ville émergente dans la théorie de la « prédation de l’espace naturel ». Mais il ajoute que provoquer cet état de prédation est un encouragement fait à ceux qui n’ont pas les moyens d’occuper cet espace : encouragement à « le démolir », à « le détruire »… (cf. 11 septembre 2001). P. Chemetov considère comme naïve et peu crédible la vision catastrophiste de la « zone blanche » (cf. la nécessité du partage des richesses). Selon lui, le partage équitable des richesses par l’ensemble de la planète reviendrait à prendre le Bengladesh comme référence mondiale. Il affirme que les richesses disponibles ne peuvent satisfaire qu’un milliard d’humains, seulement.

L’une des clés au problème des inégalités de richesses réside dans la mise en place des conditions d’une démocratie élémentaire. Pour cela, il prône la réalisation d’un « réseau de gratuité universel ». Il considère que le réseau public constitue l’un des plus grands luxes. Il ajoute que le poids de l’immatérialité dans la logique de réseau, nous oblige, plus que jamais à nous référer à la matérialité. L’architecture a souvent été définie comme une « utopie qui se réalise ». Ici, elle peut jouer un rôle : « faisons la ville ! ».

Reste à s’interroger sur les déchets urbains du siècle. La technique du déchet n’est pas nouvelle : elle a déjà été mise en œuvre après la 2ème Guerre mondiale en Allemagne ou au Japon. A ce propos, P. Chemetov note que, lors d’une dernière exposition universelle, le Japon avait mis en scène la récupération des restes du tremblement de terre de Kyoto, au centre de son pavillon. Il apparaît, pour lui, que « Les déchets sont des objets esthétiques de référence ».

 Pour une écologie urbaine et politique

 En conclusion, P. Chemetov note qu’au fur et à mesure que la ville devient notre environnement naturel, on assiste au triomphe des campagnes et à celui des déchets. Il plaide pour un « écologie urbaine et politique ». Ce qui n’est pas encore le cas chez les mouvements écologistes actuels. Cela suppose donc une phase de maturation de cette même écologie. Il ajoute, enfin, qu’il « est temps de resserrer le maillage des villes, de s’intéresser aux vides et freiner l’étendu – distendu de la ville ».

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