"LA RECHERCHE ET L’ENSEIGNEMENT EN DEBAT"
Le Forum du monde de l’Education

Débat animé par :
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Nicolas TRUONG, journaliste au Monde de l’Education avec
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Dominique BORNE, Inspecteur général de l’Education Nationale,
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Dominique COMELLI, syndicaliste, responsable de la formation en histoire des enfants
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Gérard NOIRIEL, directeur de recherche à l’EHESS, spécialiste de l’histoire de l’immigration
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Michelle PERROT, historienne spécialiste de l’histoire de la fe

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Compte-rendu réalisé par ARMAND LASRY, professeur d’histoire au collège Augustin Thierry. Blois

PROBLEMATIQUE

     L’école semble être oubliée par l’histoire. Celle, en tous cas qui se fait ou se défait dans les laboratoires. Avec l’atomisation de la recherche, son émiettement en courants stériles ou féconds, l’enseignement secondaire repose sur un consensus. Les professeurs se trouvent ainsi coupés d’une recherche qui ne passe plus la frontière des salles de classe. Pourtant, l’histoire ne cesse d’être l’objet d’une demande sociale et d’une exigence civique. Il est donc grand temps de renouer le contact entre enseignants et chercheurs, afin que l’enseignement de l’histoire ne ressemble pas à celle d’un long fleuve tranquille.

 I. LES RAPPORTS ENTRE RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT.

 Quelles sont les évolutions de ces démarches du savoir et de la connaissance ? Quels sont les problèmes que posent leurs rapports ?

Le professeur Gérard Noiriel souligne que recherche et enseignement nécessitent des négociations et mettent en jeu des intérêts différents. Le monde de la recherche n’est pas unifié. Il est contradictoire. La notion d’école est à revoir par le fait même qu’à la base ce sont les travaux individuels d’une personne qui la constituent. Un des enjeux se sont les étiquettes que l’on va donner. Il y aura un retour en force de l’histoire politique sur l’histoire sociale qu’on appelle histoire culturelle. Autrefois, c’est l’histoire politique qui jouait un rôle primordial.

Le paradoxe de l’histoire contemporaine est qu’ avec l’histoire du temps présent, on a ouvert le programme sans que la science l’ait discuté. On a d’abord l’enseignement  puis la recherche. Il y a un décalage. L’enseignement de l’histoire avec les questions d’actualité et même avec un esprit critique pose des problèmes. Le lien entre enseignement secondaire et la recherche doit se poursuivre. Comment faut-il démocratiser l’histoire ? ( Noiriel ).

L’inspecteur général Dominique Borne met l’accent sur les dangers d’un discours univoque. Une leçon d’agrégation qui se ferait sans interrogation en trois point, c’est dramatique. Le rapport avec la recherche doit être nuancé. Il n’est pas possible pour l’enseignement d’avoir un rapport avec la recherche sur toutes les questions.

L’école répond à une demande sociale. Ce n’est pas le cas de l’université. Il existe beaucoup de secteurs où la recherche reste pure et ne sont même pas enseignés dans l’enseignement supérieur. La recherche renouvelle les perspectives. Une partie de la recherche est incommunicable.

Le temps présent doit être introduit dans les programmes. Ce n’est pas un enseignement de l’actualité. Le temps présent est au bout d’une histoire.. On ne peu enseigner le temps présent avec des certitudes. Entre deux chercheurs en présence, on peut se poser la question de savoir lequel des deux est bon et l’autre moins bon ? Qu’est-ce que le savoir scientifique ? Qu’est-ce qui vulgarise la recherche ? Les revues comme L’histoire, les émissions de France culture ? Qu’est-ce que la recherche ? Ce n’est pas une expression claire. Autrefois, il y avait une construction pyramidale de l’histoire, aujourd’hui, on a un éclatement. ( Borne )

Dominique Cormelli s’interroge de savoir comment faire un discours que la recherche, l’invention n’a pas fait pour faire un discours cohérent. Pour les civilisations, depuis 1946, 1947, on fait entrer les civilisations dans l’enseignement. ( Cormelli ).

Il ne faut pas sombrer dans les excès. Des chercheurs font des efforts pour faire connaître leurs travaux. On a avec Internet des discussions. Il y a des choix dans les manuels, des orientations qui sont données. Quelles sont les innovations ? Il y a des airs de famille.

( Noiriel ).

Nicolas Truong du Monde de l’Education souligne une forme de  relativisme dans les manuels et met l’accent sur l’histoire officielle avec des exercices et il faut faire allusion à des débats. Le risque n’est-il pas de conduire à une forme de relativisme ? Comment trouver la position idéale ? L’histoire n’est pas unitaire ? Quel est le manuel idéal ? ( Truong ).

Dominique Borne nuance ces propos et montre que les manuels ne sont pas les programmes. L’enseignant a une liberté. Il faut faire comprendre que l’historien est producteur de liberté. Il y a un métier d’historien. On n’aboutit pas au même résultat sans aboutir au relativisme. Au Lycée, les moyens critiques sont mis en œuvre . L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille. Un des problèmes de l’enseignement, ce sont les manuels. On n’a pas trouvé comment écrire le passé pour  la recherche et aussi pour les lycées. On peut mettre en présence deux textes d’histoire. C’est compliqué. Le problème de l’écriture critique de l’histoire se pose. ( Borne ).

Pour Mme Cormilli, les manuels peuvent produire des discours historiques différents.

Les valeurs de l’école ne sont pas les mêmes qu’à la famille. Dans la production d’un savoir, il y a un problème de légitimité. On peut montrer que l’on peut produire des discours historiques différents. Les élèves de CM2 écrivent beaucoup et en 6ème se sont des résumés de cours. On sous estime les élèves. Dans les manuels de lycée depuis 45 ans, les documents cassent le discours sacré. Il y avait des manuels plus critiques que maintenant. On a régressé sur le fonds.

( Cormilli ).

Noiriel aborde le problème du relativisme. La mise en question de l’objectivité a été forte depuis trente ans. On ne doit pas renoncer à un idéal d’objectivité pour les manuels. Ce qui importe, ce sont les qualités : doute, reprendre critique. 2 ou 3 exemples par rapport à des questions de contribution à une formation civique. Il faut des qualités de démocratie. Il y a une notion de consensus chez les historiens à valoriser.

 II. L’HISTOIRE DES FEMMES DANS LES PROGRAMMES.

 Une expérience pédagogique concrète.

Le professeur Michèle Perrot est une historienne spécialiste de l’histoire des femmes Elle a réalisé une expérience pédagogique. Deux rédactrices ont effectué un travail avec de jeunes collégiennes de 6ème et de 5ème avec des documents et de grandes questions. Un choix de documents a été soumis à ces filles parmi lesquels « Femmes faisant la lessive », un tableau de Chardin. Des questions ont été posées et le travail s’est effectué sur cinq à six après-midis. Des enregistrements ont été pratiqués. Le texte obtenu est proche du récit. Un débat a eu lieu avec des élèves de collège. Les questions des jeunes sont pertinentes et ramenées au présent.

Comment l’histoire des femmes a été pris en compte par la recherche ?

Pour Michèle Perrot, c’est l’expérience de vingt ou trente années. la dimension collective est récente. Une expérience de recherche a commencé en 1973 à l’université, les femmes ont-elles une histoire ? C’est un premier cours à l’université. Le travail à l’université où il fallait faire diffuser cette expérience dans l’université. Cela reste un problème actuel. On a gagné par une certaine audience mais les jeunes collègues se plaignent du manque de structures. Il n’y a pas de centres de recherche reconnus. La demande concerne la retransmission du savoir à l’université.

Pour le secondaire, dans les programmes faire passer car il s’agit d’un jeune comité national pour les programmes et là ça explose. On en  entend parler dans tous les enseignements. On ne peut pas tout le temps parler des femmes. Cela les desservirait. De plus en plus d’intérêt pour ce problème. Au capes, à l’agrégation, de plus en plus de questions portent sur ce sujet. C’est un signe. Pour les manuels, il y a beaucoup plus de choses aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans.

III. L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION DANS LES PROGRAMMES.

 Le professeur Noiriel auteur de l’ouvrage « Le creuset français » sur l’histoire de l’immigration. Le coche a été loupé dans les années 1980 pour faire entrer cette question dans les programmes. Pourquoi l’histoire de l’immigration n’est-elle pas passée ? Un petit nombre d’historiens dans les années 1980 utilisent l’histoire à des fins xénophobes en relation avec l’extrême droite. On a une sorte d’utilisation de l’histoire à des fins politiques. On a une série de discours sur le sujet mais personne n’avait étudié l’immigration. On n’avait pas de travaux scientifiques. Un petit nombre d’historiens se sont livrés à des recherches. La vérité historique en donne une vision différente. L’histoire de l’immigration a évolué ; elle existe. Des thèmes ont été étudiés, une revue a été créée. La recherche a fait des progrès. Il fallait populariser les connaissances. Ce travail se fait par des enseignants. Moi, je ne dirai pas « et les immigrés ? » Nous sommes un des Etats qui fait une grande place à l’immigration.

Une idée fondamentale est à mettre en évidence d’après laquelle l’immigration apparaît comme un processus de l’histoire de l’humanité. Il faut comprendre qu’il s’agit d’ un processus irréversible. Intégrer l’immigration, cela nous aide à comprendre l’histoire contemporaine.

( Noiriel ).

            Noiriel a raison. Comment diffuse-t-on ces idées ? C’est difficile, les manuels ne sont pas les programmes de l’Education Nationale. Pour que les professeurs les transmettent, il faut qu’on leur enseigne. Les problèmes de population, on les aborde surtout en géographie plus qu’en histoire. Des groupes de pression s’exercent sur les programmes. Ce sont les mémoires sur la guerre d’Algérie, les Arméniens, les protestants… Ce n’est pas la recherche qui frappe. La recherche peut nous préserver des mémoires abusives. On est en demande constante. Le temps du politique, le temps du ministre n’est pas le temps de l’enseignement. On ne peut pas tout commémorer... (Borne ).

CONCLUSION
L’enseignant ne doit pas resté coupé de la recherche : elle doit pénétrer sa classe. Enseignement et recherche doivent conserver des liens.

La recherche doit rester une des bases de la formation de l’enseignant. Elle doit continuer à contribuer à renouveler notre savoir scientifique, à exercer notre esprit critique et de rejeter les idées reçues, les contre vérités, les clichés stéréotypés. Elle nous permet d’enseigner avec plus d’objectivité et de mieux cerner la vérité historique. Elle évite aussi de se cantonner à une histoire trop officielle. Elle nous montre que notre enseignement ne doit pas occulter certaines grandes questions fondamentales comme l’histoire des femmes et celle de l’immigration. Trop sollicité, l’enseignement de l’histoire ne doit pas aboutir systématiquement à un enseignement de commémoration.

La recherche nous permet un enseignement de qualité par une mis à jour de nos connaissances avec plus d’objectivité et de vérité historique.

 Compte rendu réalisé par ARMAND LASRY, professeur d’histoire au collège Augustin Thierry de Blois pour les rendez-vous de l’histoire.

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