DE POMPEI A LA RUMEUR DE LA SOMME : Les catastrophes naturelles sont – elles solubles dans la politique ?
Animateur Jean-Michel Gaillard.
Participants : Isabelle Backouche, Joël Cornette, Maurice Sartre.

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

DEBAT :

            Pour une définition de la catastrophe naturelle, on peut se reporter à la page 5 du fascicule. Elle est commandée par Dieu à cause des péchés. D’un monde théologique, surnaturel, nous sommes passés à un monde naturel, scientifique. Ce passage représente un séisme intellectuel dans la façon d’envisager les séismes justement. Ce changement s’est produit à l’époque de Descartes (le Discours de la Méthode) et au XVIII° siècle.

            Dans l’Antiquité, les dieux agissent ( par exemple Poséidon est un dieu ébranleur). Il y a des mouvements naturels auxquels on ne peut échapper. Les traits du paysage sont le résultat de catastrophes pour les Anciens. Ainsi pour Platon, l’Attique est plate parce que sa couverture végétale est tombée dans la mer, donnant naissance à des îles dans la mer. Cependant, il n’y a pas de vision vraiment théologique. Au XIX° siècle, nous sommes dans un monde positiviste et rationnel. Les catastrophes naturelles sont imprévisibles ; elles sont dues à un déclencheur climatique et à la présence de l’homme. La nature est considérée comme dangereuse mais il y a l’idée que l’on peut essayer de remédier à ces dangers, en essayant de réguler les fleuves par exemple. Aujourd’hui la loi différencie les catastrophes naturelles et les catastrophes technologiques : en effet la législation est différente. La catastrophe naturelle est un déchaînement  de la nature : séisme, avalanche… La tempête n’est pas toujours considérée comme une catastrophe naturelle car les dégâts du vent sont assurables sauf si l’ampleur est considérable. L’état de catastrophe naturelle est déclaré en vue de l’indemnisation des victimes si l’événement est exceptionnel et non répétitif (crues trentenales par exemple).

            Les intervenants ont ensuite passé en revue les catastrophes les plus marquantes. Dans l’Antiquité, la catastrophe par excellence est, à nos yeux, celle qui a touché Pompéi car elle est restée dans les mémoires, notamment grâce au texte de Pline Jeune racontant l’intervention et la mort de son oncle Pline l’Ancien. Mais dans le monde antique, c’est le tremblement de terre de Rhodes de 227 avant J.C. qui a eu le plus d’écho. Il a causé la destruction du colosse de Rhodes. La ville était la plus grande place commerciale de l’époque, c’est pourquoi le tremblement a eu un retentissement dans tout le monde antique ; il a entraîné une mobilisation internationale des secours. De nombreux textes ont traité de ce sujet; malheureusement la littérature du III° siècle a sombré dans l’oubli ; il ne nous reste que le texte de Polybe. Au XVII° siècle, l’importance des crises de 1692/93 et 1709 est telle qu’elles ont été déstabilisatrices dans la façon de penser le politique. Vauban voit la misère absolue au – delà de la crise habituelle à cause des impôts. C’est pourquoi il systématise l’idée d’un impôt pour tous pour mieux le répartir, entraînant par là une mise en cause du régime royal. En 1755, le tremblement de terre Lisbonne entraîne une vision désenchantée, mais il conduit aussi à la volonté de mieux penser l’habitat et l’aménagement du port pour utiliser au mieux cette crise. Ces trois crises ont eu une influence sur le politique. Au XX° siècle, la catastrophe la plus marquante est la grande crue de 1910 ( il y a eu plus de huit mètres d’eau dans Paris).Les infiltrations dans les sous – sol avaient entraîné la paralysie de la ville. La grande quantité de photos prises à cette occasion a inscrit durablement cet événement dans les mémoires.

            Comment le politique intervient – il dans les catastrophes naturelles du point de vue de la prévention, du déroulement et des conséquences ? Dans l’Antiquité, on est démuni de moyens pour parer les effets des catastrophes, mais il y a quand même une implication du politique. Lors de l’incendie de Rome, en 64, le pouvoir a proposé des vivres et des baraquements pour les victimes : c’est donc une réponse politique ( cependant Néron a préféré ne pas se montrer car des rumeurs qui l’accusaient d ‘avoir mis le feu lui – même circulaient déjà). Au moment de l’éruption du Vésuve, Pline le Jeune nous apprend que la flotte de Misène avait été envoyée pour secourir les habitants de Pompéi. Cela a permis de sauver beaucoup de gens, mais d’autres ont préféré rester dans leur ville car ils n’ont pas mesuré le danger ( il y avait déjà eu un tremblement de terre en 62 : ils s’étaient habitués à vivre avec le danger). Lors du tremblement de terre de Rhodes, grâce à la popularité dont jouissaient les Rhodiens, une solidarité internationale s’est mise en place. Ainsi, à la demande des ambassadeurs envoyés par la ville, les Siciliens ont donné du blé, les Macédoniens des pins pour la reconstruction etc… Il y a eu une mobilisation politique, et un mécanisme humanitaire s’est mis en place. Sous Louis XIV, le pouvoir est passif et actif ( cf texte de la page du fascicule). Le roi se présente comme le gestionnaire de la crise . En fait, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Il y avait 50 000 officiers pour secourir 20 millions d’habitants : c’était impossible. Seules les solutions locales ( municipalités, généralités, villes, aides de province à province … ) ont pu être efficaces. Il y a une différence entre la vision étatiste ( idéologique) et la gestion réelle de la crise, face au dénuement technique. Le XX° siècle est un siècle marqué par l’explosion de la technique. Dès le XVIII° siècle, on a essayé de se protéger des crues, avec la prise de conscience que l’homme peut maîtriser le paysage. Grâce à l’amélioration des techniques et la création de l’administration des Ponts et Chaussées,  on en arrive peu à peu à une maîtrise des fleuves et des rivières. Mais on finit par oublier le danger à cause du progrès même, sous l’effet de l’illusion technique. En 1910, les politiques se mobilisent : Lépine, Briand etc… sont sur le terrain. On envoie l’armée pour sauver des gens. Toute la société se mobilise, notamment l’association créée après 1870 pour lutter contre l’Allemagne en cas d’invasion, qui épaule l’armée. Des dons généreux sont faits par la population et par les industriels.  Dans l’Antiquité, les mesures politiques concernent plus la reconstruction que les secours du fait de l’éloignement à causes de la longueur des transports. La catastrophe engage forcément le politique ( tout sinistré est un électeur). En France a été mis en place le plan ORSEC en 1952 d’abord par une circulaire ministérielle puis par une loi. Ce sigle signifie «  ORganisation des SECours ». Ce plan recense tous les moyens publics ou privés mobilisés en cas de catastrophe ou d’accident ainsi que le numéro de téléphone des acteurs des secours. Il fournit également un schéma d’organisation des secours des différents services. Il concerne les très grosses catastrophes, quand les moyens du département sont dépassés. Le Plan Rouge est déclenché quand il y a de nombreuses victimes ( moyens médicaux). Il y a aussi des plans pour les catastrophes technologiques prévisibles ou non pour organiser l’utilisation de tous les secours possibles ( sauver les vies et protéger les biens). La catastrophe est aussi un risque politique car l’homme politique risque d’être tenu pour responsable. Si Louis XIV a maquillé la réalité, c’est parce qu’elle a été dangereuse : elle a conduit à une remise en cause de la royauté ( dans le même ordre d’idée, le 14 juillet 1789 est le jour où le cours du blé a été le plus haut). Le roi ne connaît la réalité que par les rapports qu’on lui fait, ce qui doit conduire relativiser sa tentative de réécrire sa gestion de la crise.  A Rome, Néron est conscient du risque politique. Quand il y a une famine à Rome, le préteur intervient pour empêcher les troubles et les émeutes, par exemple en fixant le prix du blé. Le politique peut être victime des catastrophes , comme le montre la chute de Néron : à cette époque on se souvient encore de l’incendie de Rome. En 1910, les attentes de la population font que les hommes politiques sont sur le terrain. C’est l’affirmation de l’Etat – Providence déjà en germe. Lors des inondations dans la Somme, on assiste à la mise en cause du politique par les habitants. De plus il y a une exploitation politique du désarroi des habitants : une rumeur, lancée par des hommes politiques locaux ou nationaux parle d’un déversement volontaire des eaux dans la Somme pour protéger Paris. Une étude technique a dû être réalisée  pour désamorcer cette rumeur. En 1910, il y a aussi eu une exploitation politique et religieuse. Les autorités religieuses ont réclamé un acte de repentance de la part de la population. En outre, des élections législatives avec un enjeu important devaient se dérouler peu après. L’archevêque de Paris a appelé à la pénitence et au bon vote ! L’exploitation politique a été aussi le fait de l’extrême droite qui a cherché un bouc – émissaire en la personne des Juifs qui géraient des sociétés de déboisement et qui auraient été responsables de l’amplification du débordement des eaux.

            La recherche de la sécurité et du risque zéro amène aujourd’hui la prévention ( pour ne pas exposer des vies et pour ne pas prendre de risques politiques). Est – ce une notion contemporaine ? Dans l’Antiquité, après l’incendie de Rome, des règlement d’urbanisme ont défini la largeur des rues, la hauteur maximum des maisons, le choix de matériaux résistant au feu etc…), mais ils n’ont pas été respectés ! On a fait des calculs pour construire des temples résistant aux tremblements de terre. Toutes ces mesures représentent une façon de prévenir les catastrophes. C’est au XVIII° siècle que débute la prévention en France : cf le texte de l’abbé Berthelon ( fascicule). Au XX° siècle, après 1910, la Seine a été aménagée ( avec des retenues d’eau). Aujourd’hui, les retenues d’eau représentent un quart de la masse d’eau qui a envahi Paris en 1910. De plus les dégâts seraient pires actuellement car l’urbanisation est plus étendue. La mobilisation peut aussi être individuelle grâce à l’entretien des petites rivières qui se jettent dans les affluents de la Seine. On ne peut empêcher les catastrophes ( pluie, vent, neige, marée…) mais on peut les prévenir, amoindrir leurs conséquences et faire que l’action humaine n’aggrave pas les conséquences. Il est important de prévenir les habitants : les prévisions météo et la carte de vigilance météo sont disponibles depuis le début du mois à raison de deux bulletins par jour. On peut aussi réduire les conséquence en construisant en dehors des couloirs des avalanches ou du lit des rivières (loi Barnier de 1995).L’historique du comportement d’une rivière permet de délimiter les zones inondables afin d’éviter de construire dans ces endroits. Mais le nouveau POS est souvent en contradiction avec des projets existants ou déjà réalisés et il risque d’entraver le développement économique. Dans les régions sensibles, les constructions doivent répondre à des normes antisismiques. La Hollande s’est construite sur la nature. La lutte sur l’eau est une lutte collective contre la nature.

            Après chaque catastrophe, il y a des acquis car il se produit un électrochoc. La Hollande a connu des inondations en 1953; la prévention qui s’en est suivie a permis un développement économique sur le terrain gagné sur les eaux. Louis XIV a envahi la Hollande en 1672 : les troupes ont été noyées par l’ouverture des digues, victimes de cette catastrophe provoquée. Le problème de l’eau a entraîné une grande inventivité. Ainsi les crues du Nil sont devenues bénéfiques grâce à des canaux d’irrigation bien curés. Il y a une culture de la gestion de l’eau dans certains pays, ce qui n’est pas le cas pour les tremblements de terre ou les éruptions. Un tournant apparaît au XVIII° siècle dans la gestion des crues avec l’élaboration des dérivations pour protéger la ville. Auparavant, on rehaussait les murs mais cela risquait d’aggraver les choses en amont ou en aval. On cartographie les zones inondables pour appréhender les risques. Dans l’Antiquité déjà, on sait que supprimer les haies accentue les crues. Les inondations sont causées par le ruissellement, le débordement et les remontées de la nappe phréatique. Aujourd’hui les inondations par ruissellement sont de plus en plus nombreuses à cause des chemins goudronnés et de la disparition des haies etc… C’est – à – dire que le phénomène a été aggravé par l’homme. Aujourd’hui, on replante des haies. Pour prévenir les catastrophes, il faut aussi tenir compte des actions individuelles et de la mémoire collective.   

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