« DE LA PESTE AU SIDA » Samedi 13 octobre 2001

Les débats sont animés par :
TOUATI François-Ollivier, maître de conférences à l’université de Paris VII, spécialiste de la lèpre.
Les autres participants sont :
BOURDELAIS Patrice, directeur d’étude à EHESS, spécialiste des questions de médecine, de la santé et des épidémies dans l’histoire.
GUILLAUME Pierre, professeur à l’université de Bordeaux III, spécialiste de la tuberculose
MOULIN Anne-Marie, directeur du département Société et Santé IRD, avenir de la vaccination.
TEYSSEIRE Daniel, professeur à l’université de Caen, spécialiste des sciences thérapeutiques, de la médecine des Lumières

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Compte-rendu réalisé par ARMAND LASRY, professeur d’histoire au collège Augustin Thierry. Blois

PROBLEMATIQUE GENERALE
De la peste des Philistins au virus Ebola, les épidémies n’ont cessé de marquer cruellement la destinée des sociétés. Les attitudes sociales, les comportements individuels, les peurs, ou, à l’inverse, les entreprises sanitaires et les découvertes médicales qu’elles ont suscitées se développent en un parcours où se conjuguent réalités biologiques et culturelles.

 I. LES EPIDEMIES FREQUENTES DANS L’HISTOIRE.

 Le professeur François-Ollivier Touati ouvre les débats par des observations générales. Il souligne que Blois a été frappé par l’épidémie en 1348 comme en témoigne l’existence du cimetière de Saint-Saturnin. L’interrogation porte sur les sociétés et l’environnement. Les épidémies ont été des acteurs dans l’histoire. La lèpre apparaît dans le discours des Lumières. L’histoire a été marquée par un cortège d’épidémies :

- 430 av. JC : la peste frappe Athènes. Elle est racontée par Hérodote et Thucydide.
- au IIème siècle, peste sous les Antonins.
- 541-542 : peste sous Justinien.
- 1347-1348 : peste médiéviste.
- 1722 : peste à Marseille. D’autres épidémies peuvent se manifester avec la syphilis, la variole.

Les débats peuvent s’articuler selon trois axes principaux :

1). La mesure des cheminements des épidémies.
2). L’environnement humain, social et économique.
3). Quel système de santé pour faire face à ces épidémies, quelle efficacité ?
( Touati )

 I. LA MESURE DES CHEMINEMENTS DES EPIDEMIES.

 Pour le professeur Anne-Marie Moulin, c’est un sujet d’intérêt public qui suscite une angoisse avec le retour des épidémies et une désillusion. A la fin du XIXème, un espoir était apparu avec la disparition des germes. Dans un article de 1890, on parlait de la fin des maladies infectieuses et du chômage des médecins pour l’an 2000. Cet espoir était incarné par Pasteur qui pensait à la disparition de la peste, de la rage, de la tuberculose. Mais d’autres fléaux sont apparus. L’épidémie aujourd’hui prend une perspective mondiale. Les épidémies ne sont pas nouvelles. Des mutations se révèlent et les germes inventent une nouvelle adaptation. ( Moulin ).

Au XVIIème XVIIIème , l’image de la peste et de la tuberculose sont présentes. La peste est une maladie infectieuse. En 1720, le dernière peste se produit à Marseille. Au XVIIIème siècle, la petite vérole ou la variole est un fléau universel avec une mortalité infantile importante. Louis XV est cependant mort de la variole. Au XVIIIème siècle des fléaux apparaissent  comme le fameux croup (localisation laryngée de la diphtérie) qui touche les enfants. C’est la diphtérie méningée. ( Touati ).

Le professeur Pierre Boudelais fait deux constatations :

1). Les écarts entre les chiffres pour l’importance des gains de l’espérance de vie avec 90% de disparition des maladies épidémiques liés à un grand effort d’irradication.

2). Les hommes ont une grande part de responsabilité. Les hommes ont une responsabilité dans les liaisons entre les deux bassins de la Méditerranée. La malnutrition a aggravé les choses. Le choléra sort du Bengale, du Brahmapoutre à la suite des échanges commerciaux et se répand. Les facteurs humains sont donc à considérer. (Bourdelais ).

Le professeur Pierre Guillaume évoque la tuberculose au XIXème siècle. C’est la maladie emblématique du XIXème siècle. Elle est responsable de 10% des décès à la fin du XIXème siècle. La vision a changé. Au XIXème siècle, on parlait de la phtisie. Elle devient une maladie sociale ; elle inspire la peur. La tuberculose est une maladie sociale à l’époque de Pasteur. Une prise de conscience de la visibilité de la tuberculose se manifeste jusqu’en 1954 avec l’apparition des antibiotiques. Des sanatoriums ont été construits. La visibilité de la tuberculose change. Le rimiphon est le médicament miracle. Elle est redevenue une maladie discrète. ( Guillaume ).

Est-ce que d’autres maladies nouvelles se manifestent aussi ? ( Touati ).

Il y a des épidémies silencieuses comme les fièvres hémorragiques comme la fièvre jaune difficile à déceler, le paludisme. Il y a d’autres fièvres. Nous sommes dans un monde de germes qui circulent et un jour se produit une rencontre avec un organisme d’où une amplification.

II. L’ENVIRONNEMENT HUMAIN, SOCIAL ET ECONOMIQUE.

Qu’est-ce qui favorise l’émergence des épidémies ? ( Touati ).

Pour le professeur Daniel Teysseire au XVIIIème siècle, une obsession du milieu se manifeste qui se retrouve à l’âge des Lumières. Pour soigner, on a recours souvent aux saignées. Il s’agit d’aider la nature ; c’est le rôle du médecin. Il y a un pessimisme thérapeutique et un optimisme sur l’homme. Il faut aider l’organisme à se défendre Toute une série d’actions se font sur le milieu. Il faut agir sur le milieu. ( Teysseire ).

Au XIXème siècle, les conditions de vie et de travail ont des incidences sur la propagation de la tuberculose. Les Suisses ont vendu leur climat de montagne. Les littoraux atlantiques ont vendu aussi leur climat comme Arcachon. On a donc une prise de conscience de l’influence du milieu et de la médiocrité des logements. ( Guillaume ).

Le milieu social et matériel est à considérer. La tuberculose en Afrique est la cause d’une mortalité importante avec le Sida. En Europe de l’Est et en Russie, la tuberculose connaît de nouveaux développements avec la dégradation des conditions de vie. Or, l’éradication de la tuberculose était prévue par l’O.M.S. pour l’an 2000. Il y a des résistances à la tuberculose. ( Moulin ).

Faire circuler l’air, l’eau, la notion de progrès, la mise en place de l’assainissement sont des notions de progrès qui peuvent tenir lieu de protection. On ne peut opposer les hygiénistes et les bactériologistes  au  XIXème siècle. Le bacille de Koch est sensible à la lumière. Il y a des maisons meurtrières. L’hygiéniste a permis de construire des politiques de santé publique. Après la peste noire en Italie, une prise de conscience s’est produite avec la mise en quarantaine au lazaret. ( Bourdelais ).

Les mesures prises lors de la grande peste de Milan sont un arsenal de mesures répressives. Les médecins éclairés sont répressifs et favorables à une intervention magistrale. ( Teysseire ).

 III. RESPONSABILITE DES POLITIQUES SANITAIRES. LES SYSTEMES SANITAIRES..

 On a tendance à s’enorgueillir de nouvelles méthodes. L’O.M.S a fait preuve d’optimisme avec la notion du droit à la santé et en 1947 en préconisant le tout insecticide. Depuis, on est revenu à une certaine modestie. Les germes peuvent avoir des raisons d’être. Aujourd’hui, on fait preuve de plus de doigté pour la généralisation du vaccin. Il faut élaborer une stratégie complexe. Les scientifiques n’ont pas le dernier mot. Il faut des structures stables démographiques. (Voir Camus ) La peste arrive quand on baisse les bras, quand le pays est désorganisé. La maladie du sommeil réapparaît à la suite de la guerre civile en Angola, au Zaïre. Les hôpitaux peuvent être des nids à microbes

 Pour la tuberculose, les antibiotiques révèlent leur efficacité. On a le moyen de rendre plus sûr les opérations. Au début de 1950, on construit des sanatoriums. C’est un exemple de décalage. En 1954, dans les Pyrénées Orientales, on construit un sanatorium. Il apparaît comme l’arme majeure de lutte contre la tuberculose. On construit très grand. En 1963, on ne trouve plus de tuberculeux. On en fait un établissement de pré-cure. Il y a un décalage avec la décision politique.( Guillaume ).

Des décalages apparaissent aussi au XIXème siècle. En 1960-70, un anglais déclare que la mortalité et la tuberculose n’ont rien à voir avec la  politique de santé publique. La controverse n’en finit pas. Les politiques de santé même inadaptées ont eu des effets dans la lutte contre les épidémies avec une baisse de la mortalité. L’expérience dans les pays d’Europe centrale est renommée. C’est une prise de conscience individuelle et collective. ( Bourdelais ).

Quelles sont les solutions et les politiques à mener ?

Il y a un défi, une ambivalence entre le progrès technique et le progrès économique. Les défrichements en Amazonie ont entraîné des fièvres et dans l’élevage, l’apparition d’épidémies. Les modifications d’hygiène, des habitudes provoquent un recul des épidémies. Les nouveaux modes d’habitat, d’élevage ont des répercussions sur les épidémies. ( Moulin ).

Pour la baisse de mortalité, les expériences locales donnent les mêmes constatations. Les villes qui ont mené une politique d’assainissement ont vu leur mortalité baisser. Les expériences locales par l’amélioration de l’hygiène ont permis aux politiques nationales de se constituer au XIXème siècle. ( Bourdais ).

Il faut aussi lister les épidémies de tabagisme qui affectent les pays riches et les pays pauvres, les traumatismes volontaires : les guerres, les violences ( Touati ).

La déforestation provoquée par le progrès technique. Comment peut-elle résister à l’explosion démographique ? L’urbanisation des pays du sud joue un rôle avec la destruction du milieu. ( Guillaume ).

A la fin du XVIIIème siècle, l’espérance de vie était de 28 ans. Aujourd’hui, elle est de 80 ans d’où une croissance de la population et des possibilités plus grandes de contagion. ( Teysseire ).

            Dans les villes, au XIXème siècle, 1 enfant sur 12 atteint 10 ans et meurt avec de petites maladies. L’épidémie est liée à l’ouverture d’une niche écologique avec une rapidité des vecteurs et la densité des souches dues aux mégalopoles. On a tout ce qui faut pour le déclenchement d’épidémies. ( Bourdais ).

            L’histoire de la vaccination et de la vaccination antivariolique montrent que les vaccins ont été un des très grands espoirs pour lutter contre les maladies. Les investissements ont été énormes. ( Moulin ).

            On a crié victoire en voulant se passer de la vaccination (Touati ).

           Le vaccin fait passer un message de solidarité. C’est le cas pour le B.C.G. qui touche les classes défavorisées. ( Moulin )

Le départ est l’année 1940 avec la vaccination obligatoire. On a considéré que les immigrés étaient une population à risques. ( Guillaume ).

 

CONCLUSION

Les épidémies ont marquées les sociétés dans l’histoire, à toutes les époques. Il n’y a pas une disparition totale et définitive des épidémies. Il peut y avoir un retour. Nous vivons dans un monde de germes. Leur disparition n’est pas définitive. Il peut se produire une adaptation des germes et de nouvelles épidémies peuvent apparaître comme le SIDA. Peste et tuberculose ont été surtout analysées. Il existe aussi d’autre formes d’épidémies plus silencieuses. Les efforts d’éradication ont abouti a des gains d’espérance de vie. Le milieu social et matériel est à considérer

 dans leur propagation. Les mesures prises par les hygiénistes sont des facteurs de progrès. Mais aussi les politiques sanitaires ont eu des résultats positifs

L’attitude aujourd’hui plus nuancée dans la lutte contre les épidémies. On admet que les germes ont des raisons d’exister donc que la généralisation des insecticides ou de la vaccination doivent être plus modérées.

 QUESTIONS

 1. Maladie du sommeil et colonisation de l’Afrique :

Y-a-t-il une relation entre la maladie du sommeil et la colonisation en Afrique ? La religion catholique s’arrête avec la progression de la mouche tsé-tsé. ( Intervenant public )

Il n’y a pas de corrélation entre l’extension de la carte des religions et celle de la mouche tsé-tsé. Par contre, la mouche tsé-tsé a des corrélations avec les conditions de température et l’humidité. Le déplacement de population avec les grandes chaleurs est un facteur de propagation dans les villes. ( Moulin ).

 2. Les rats et la propagation de la peste.

La disparition de la peste est-elle une légende ?

Le contrôle des marchandises est devenu plus strict entre l’occident et l’orient. Il y a eu une action volontariste de l’homme. ( Bourdais ).

Le rôle de la puce et de l’homme sont à mentionner.

 3. Les politiques sanitaires.

Pour quelles raisons a-t-on décidé d’éliminer systématiquement le bétail atteint par les fièvres aphteuses ?

On a décidé aujourd’hui d’éliminer le troupeau pour des raisons économiques plus que pour des raisons sanitaires en liaison avec la politique de l’Europe communautaire axée sur une baisse des troupeaux. C’est l’économique qui l’emporte sur le sanitaire. ( Intervenant public ).

Le motif économique n’est pas récent. le bateau qui est entré à Marseille en 1720 a provoqué la peste et cela parce qu’on a laissé entrer le bateau. Les épidémies coûtent elles-mêmes très cher. (Moulin ).

4. Epidémie et mœurs.

Chaque époque n’a-t-elle pas l’épidémie qu’elle mérite ? Pour le Moyen Age, c’est la pauvreté. Pour le SIDA, n’est-ce pas la libération sexuelle ? (Intervenant public ).

La syphilis s’est répandue avant la libération des mœurs. Il est difficile d’imaginer que l’idée du SIDA est due à la libéralisation sexuelle. ( Moulin ).

5. Epidémie et recherche médicale.

Quelle sont les moyens de lutte les plus efficaces ? ( Intervenant public )

La meilleure défense est un organisme immunitaire est un organisme en bon état de marche. Les vaccins, l’immunologie essaient de produire de nouveaux vaccins. L’immunologie est notre meilleure arme ( Moulin ).

Compte rendu réalisé par ARMAND LASRY, professeur d’histoire au Collège Augustin Thierry. Blois pour les « Rendez-vous de l’histoire ». 

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