"HISTOIRE GEOGRAPHIE : LES LIAISONS DANGEREUSES ?"

Débats animés par :
Christian Grataloup professeur de géographie à l’université de Paris VII
Rémy Knafou, professeur de géographie à  l’université de Paris VII 
Jacques Lévy, professeur de géographie à l’université de Reims
Françoise Michaud, professeur d’histoire médiévale à l’université d’Orléans.
Gauthier De Pétigny, président de la FFAEH d’histoire, étudiant.

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Compte-rendu réalisé par ARMAND LASRY

Problématique :

La Fédération Française des Associations d’Etudiants en Histoire, propose une réflexion sur le thème des relations existantes et souhaitées entre les deux disciplines histoire et géographie dans le milieu universitaire, deux matières si proches et pourtant si différentes

 Des liens étroits et anciens.

Le professeur Knafou ouvre le débat et souligne les liens étroits et anciens entre l’histoire et la géographie.

Pour évoquer les relations entre l’histoire et géographie, des métaphores sont souvent utilisées. C’est une affaire de famille complexe. On parle disciplines- sœurs , de couple. L’une est née de l’autre .Ainsi la géographie académique est née de l’histoire. Les relations sont anciennes et sont revisitées par des débats concernant par exemple les nouveaux programmes des classes de 1ère ou de terminale.

Les liaisons entre les deux disciplines peuvent être abordées à trois niveaux :

1) celui de l’enseignement secondaire

2) celui de l’enseignement supérieur.

3) celui de l’enseignement, de la recherche et des enjeux épistémologiques.

Pour les relations histoire et géographie à l’école, il convient de faire un bref historique.(Knafou)

 I. LES RAPPORTS DE L’HISTOIRE ET DE LA GEOGRAPHIE DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE.

Une association histoire-géographie ancienne dans l’enseignement.

Le professeur Grataloup constate qu’il existe des rapports dominants et dominés. Depuis la fin du XVIIème siècle, l’enseignement de l’histoire et de la géographie est une institution française que l’on retrouve au Portugal et dans les pays latins. Pour les pays anglo-saxons ce n’est pas le cas. Il faut relativiser. Le couple n’est pas intangible. Des recompositions ont été envisagées. Depuis les jésuites jusqu’à Jules Ferry, on a une association histoire géographie.

Une géographie surtout enseignée par des historiens.

Des choix se sont produits avec le partage passé-présent. Des historiens ont fait de la géographie. Cette démarche a été à l’origine de la revue des Annales. Beaucoup d’historiens ne sont pas bons pour les coupes géologiques. La géographie actuelle est surtout enseignée par des historiens. Les étudiants sont plus nombreux en histoire. Dans la répartition des tâches, on fait ainsi plus d’histoire que de géographie. Il y a des rapports de force et des spécialisations. En matière de théorie, c’est la géographie qui fait les courses comme pour la notion de transition démographique qui est un modèle. On « avale » du modèle en géographie. En histoire, c’est plus délicat. La transition démographique, on se retrouve dans un cours de géographie illustrée par une coupe et modélisation graphique. Cette vie en couple a des effets sur l’enseignement. ( Grataloup )

Des historiens qui doivent s’adapter à l’enseignement de la géographie.

 La géographie est enseignée par des historiens qui ont gardé parfois des souvenirs douloureux de la géographie. N’est  ce pas une façon d’affaiblir la géographie et de tarir le recrutement des étudiants en géographie, de provoquer un affaiblissement de la discipline ? ( Intervenant ).

Ce n’est pas impossible. on ne peut pas dire que tous les professeurs d’histoire n’aiment pas enseigner la géographie. Il est possible qu’ils aient du mal à utiliser un vocabulaire très scientifique dû à une formation en géographie insuffisante(Michaud).

Une large majorité d’historiens enseignent la géographie. C’est un phénomène de structure lié à de nombreux étudiants. Les débouchés de la géographie  peuvent se faire en dehors de l’enseignement. L’enseignement de la géographie ne tourne pas autour de modèles. Il y a des programmes.(Knafou).

On fait beaucoup d’histoire et de géographie par rapport aux autres pays. C’est une mode liée à l’identité nationale et territoriale. Un rôle "naturalisateur" est donné à la géographie.(Grataloup)

Je suis historienne. J’ai trouvé de l’intérêt pour la géographie peu à peu liées aux avancées de la géographie, aux débats passionnés, aux évolutions de la géographie qui lui ont donné un sens. Ces débats n’ont pas lieu en histoire. Dans le secondaire, des liens étroits existent entre l’histoire et la géographie. Il n’y a pas de frontière entre l’histoire et la géographie. ( Intervenante ).

Il y a une contradiction entre le principe du rapprochement des deux disciplines et la mise en musique. C’es un raccrochage. La réalisation est différente du principe. Il fallait un consensus préalable…(Intervenant ).

 II. LES RAPPORTS DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Une séparation de l’histoire et géographie

Il faut prendre en compte le débat au niveau de la recherche qui ne l’est pas dans la communauté du secondaire. ( Pétigny, étudiant )

Il n’est pas possible de répondre aux programmes. Il faut faire un état des lieux dans le secondaire et dans le supérieur. les concours sont à l’articulation des deux. Ce sont eux qui nous rassemblent. Il y a une forte interconnexion.( Knafou ).

 Pour l’Institut des sciences humaines d’Orléans, la conception que les géographes se font de leur discipline a évolué. Il n’y a plus d’union entre l’histoire et la géographie. Les étudiants ont de l’aménagement, de la cartographie avec des débouchés en géomatique. On a un abandon de la complémentarité histoire géographie par le département de l’université d’Orléans pour l’enseignement secondaire. On a une situation de fait, les historiens devront enseigner la géographie.(Michaud).

Un contrat des historiens géographes avec l’Etat qui n’existe plus.

Le professeur Lévy évoque les relations de l’histoire géographie avec l’Etat. Pour lui, l’Etat a passé un contrat avec les historiens géographes. C’est un contrat avantageux pour les deux disciplines avec une rente : un enseignement obligatoire depuis le primaire contrairement à la sociologie. Cela impose des contraintes comme la contribution à l’amour de la patrie. la géographie se centre sur l’analyse des permanences. Elle a été plus soumise à cette rente. Les géographes se sont révoltés dans les années 70 contre l’idée. Une autonomie intellectuelle qui devait mener à une indépendance. Cette situation a fait que la géographie a raté la ville, la politique , la géopolitique. Pour l’histoire, il a fallu que se soient des historiens américains pour passer en revue l’histoire de Vichy. Nous sommes dans le même bateau. Cette rente ne fonctionne plus. Nous sommes entrain d’en sortir. Nous avons eu la chance de la crise. Est-ce qu’on disparaît ou est-ce qu’on fait autre chose ? ( Lévy ).

Est-ce qu’on disparaît ou est-ce qu’on fait autre chose ? On peut aussi rester dans l’institution. Dans les nouveaux programmes, la géographie se sent menacée. Elle se rattache à ce que fait l’histoire.(Knafou).

 III. ENSEIGNEMENT, RECHERCHE ET ENJEUX EPISTEMOLOGIQUES

Des rapports complexes

Histoire ou géographie, c’est affronter l’autre science de concours au moment du CAPES ou de l’AGREGATION. Les rapports sont complexes .Des rapports de recherche, de fonction sociale se posent. Les changements en géographie sont liés aux débouchés. Le rapport entre un champ scientifique et les disciplines scolaires. On a donné souvent à la géographie une fonction "naturalisante" comme le découpage des continents qui est un découpage historique. Le professeur d’histoire et de géographie est un producteur d’identité parce qu’on utilise un planisphère, on impose une vision du monde. C’est une naturalisation discrète. (Grataloup).

Le problème de l’éducation civique.

On a oublié l’éducation civique alors que l’on parle de fonction sociale. Dans les concours de recrutement, on ne parle pas d’éducation civique dans les copies. Il ne faut pas en parler. Mais c’est le quotidien. ( Intervenant )

L’éducation civique n’a pas d’éclairage historique. On est dans le rôle social assigné par la IIIème République. Il s’agit de former des citoyens qui aiment leur pays. On privilégie la double connaissance pour former le citoyen.( Michaud ).

Un regard critique dans l’enseignement.

La notion de citoyen faisait partie de cette idéologie. L’éducation civique était juridique et-administrative. Ce qui a changé, c’est d’introduire le regard critique dans l’enseignement même de son propre monde. Les choses ont évolué favorablement pour l’éducation civique avec les débats. On a des buttes témoins dans l’enseignement à l’école primaire avec l’étude des pressions, du temps qu’il fait. Il faut avoir l’air d’enseigner des certitudes.( Lévy )

La géographie est une discipline qui a eu pour fonction d’inculquer l’identité par le territoire national et de présenter une certaine vision du monde. Ainsi, le livre de géographie de 1901 de  Schreider et Gallouédec est structuré en trois parties :

I le monde. II. l’Europe. III la France avec le premier hexagone dans un manuel. Un planisphère avec la France au centre des terres immergées dans la zone tempérée, la plus propice à la civilisation.( Grataloup).

Complémentarité dans le secondaire et séparation dans le supérieur.

On est très complémentaire en histoire, géographie et éducation civique Un cours sur l’histoire de l’Amérique se fait avec une carte de géographie. On passe de l’histoire à la géographie, les deux disciplines sont imbriquées. ( Intervenant )

La géographie me paraît ambiguë Les historiens des temps anciens ont besoin de l’atlas, de la nomenclature. Ils n’ont pas besoin de la géographie actuelle. Les historiens n’ont pas suivi les géographes..

Knafou. Dans le secondaire, c’est un couple. On est ensemble parce qu’on ne sait pas faire autrement et qu’on fait des choses intéressantes. Dans le supérieur, la séparation est effectuée. La recherche, c’est différent. (Michaud ).

Histoire et géographie sont des sciences sociales ou humaines. Il y a trop d’appartements et pas assez de parties communes. Tout découpage est un découpage de point de vue. La notion d’Etat, de société sont les mêmes. On a des concepts communs : l’économique, le spatial. On a une existence de cultures différentes et des différences  au niveau de la théorie. Discuter de la dimension temporelle pour l’étude des sociétés. (Lévy).

Un divorce entre la science et la discipline, entre l’objet social à l’école et les champs scientifiques est  souhaitable. (Grataloup).

Je me sens narguer. Après avoir été liées, la géographie et l’histoire économique sont entrain de se séparer car il n’y a plus d’histoire économique. Elle n’est plus à la mode. Ce sont des cycles. Il n’y a pas d’intérêt pour l’histoire économique. Est-ce que la géographie a drainé une partie des historiens économiques ? Les mémoires de maîtrise en histoire économique du Moyen Age diminuent. Il y a des modes en histoire. Il y a eu une dictature de l’histoire économique. L’histoire religieuse, l’histoire des mythes a pris la relève. On a eu un contrecoup du choc de la mauvaise application du marxisme. C’est une raison du divorce. Il reste cependant intéressant de faire des mémoires sur l’histoire économique. ( Michaud ).

Il faut souligner et un croisement intéressant entre histoire et géographie avec l’atlas de la révolution française qui permanent de passer avec des cartes sur la grande peur à l’histoire rurale et urbaine qui a été influencée par la géographie. (Pétigny ).

Il existe une difficulté d’une vie en commun qui soit équilibrante pour concevoir le présent et le passé. (Michaud ).

Les travaux de recherche sur le tourisme et montre qu’en travaillant en géographie , on a recours à l’histoire. C’est le questionnement qui le veut. (Knafou).

Un dynamisme actuel de la géographie et une histoire qui se recherche.

L’éducation civique n’est pas une discipline, elle est une approche

Heureux dynamisme de la géographie qui féconde l’histoire et la géographie ! Il y a une collaboration entre l’histoire et la géographie. Il est vrai qu’il y a un dynamisme en géographie qui est bien accueilli. L’histoire apparaît plus fatiguée. Elle est aux prises avec des débats. La philosophie de l’histoire est un élément essentiel. Des débats portent sur la 1ère et la terminale. La fonction sociale se pose de façon importante. Il y a des découpages importants comme 1939, les problèmes de mémoire collective. Il n’y a pas de parti pris mais un lent travail qui sera mené à bien. (Knafou).

Pour la connaissance du monde contemporain : on est revenu à la notion histoire et géographie dans les lycées professionnels. (Intervenant ).

Pour les lycées professionnels, la logique scientifique n’a pas tenu compte des disciplines scolaires. ( Grataloup ).

CONCLUSION. Des liaisons qui ne sont pas dangereuses mais des dangers existentiels.

Faut-il en définitive parler de liaison dangereuses entre histoire et géographie ? Ces deux disciplines associées depuis longtemps apparaissent complémentaires dans l’enseignement secondaire où un déséquilibre s’est instauré entre les deux disciplines avec l’enseignement de la géographie par des historiens.

Mais l’équilibre n’est-il pas rétabli par les nombreux stages pédagogiques, colloques et formation continue proposés aux enseignants, par la lecture d’ouvrages spécialisés sur les différents thèmes des  programmes ?

Là où le danger semble plus sérieux, ce sont les réductions d’horaires que l’on constate dans nos disciplines qui nous contraignent à mettre en œuvre des programmes de plus en plus allégés et  mutilés. Ne parle-t-on pas d’en faire des matières à option ? Dans l’enseignement supérieur, la séparation existe dans la recherche et la géographie a pris une autonomie avec l’existence de nouveaux débouchés en dehors de l’enseignement. Ce débat animé par des historiens et des géographie a permis de réfléchir sur nos disciplines et de prendre conscience de leur évolution à différents niveaux.

 Compte rendu réalisé par ARMAND LASRY professeur d’histoire et géographie au Collège Augustin Thierry Blois.

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