L'historien face à l'histoire du climat (de l'an 1000 à 2001)

Conférence de Emmanuel Le Roy Ladurie

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

Le but proposé est d’aborder l’histoire comme une science exacte. Le climat ne ressortit pas à l’arbitraire des hommes (en tous cas, dans les années 50, on ne connaissait pas l’effet de serre). Le Petit Age Glaciaire (PAG) a entraîné une crise générale au XVII° siècle ou, du moins, cela en a été un des facteurs. La dendrologie permet une datation historique, par exemple grâce à la chronodendrologie des séquoias d’Amérique du Nord. Autre indice : l’étude de la date des vendanges : en effet plus les vendanges sont tardives, plus l’hiver est précoce. Ainsi en observant la date des vendanges en Languedoc, on peut établir le concept d’un PAG : il y a 1° C de moins en moyenne par rapport aux périodes non glaciaires. Les glaciers de Chamonix nous offrent les traces du PAG. Celui – ci a duré jusque vers 1850 – 1860.  L’alternance entre les reculs et les avancées du PAG a causé des disettes, des périodes fastes, des inondations etc … Les premières observations thermométriques datent du XVII° siècle. Quand se produisent des pluies abondantes ou des sécheresses ( en dehors des périodes de PAG), la conséquence en est un excès des morts et une baisse des mariages et des naissances. Par conséquent le climat entraîne une crise par la rareté du blé et une baisse de la démographie. C’est une crise de subsistance.

L’histoire du climat est une histoire scientifique : les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets dans tous les pays. L’impact du climat sur les sociétés traditionnelles est très important. Quand les conditions climatiques sont bonnes, Louis XIV peut imposer la paix de Ratisbonne ou la Révocation de l’Edit de Nantes. Par contre lors du siège de Namur à cause d’une pluie excessive, les soldats de Louis XIV ont cassé ou brûlé les statues de Saint Médard, le saint préposé à la pluviométrie ! A la même époque, l’Angleterre avait une agriculture plus moderne ; elle a donc été moins touchée par la météo défavorable. L’économie a une influence sur ce processus. Mais il faut noter aussi l’importance de la politique, par exemples par des édits fixant le prix du blé , interdisant l’achat du blé sur pied ou son exportation. Les émeutes de la faim ont parfois même vu la participation de soldats, à la fin du XVII° siècle.

Le climat entraîne donc de mauvaises récoltes qui elles – mêmes causent des famines qui ont pour conséquence des morts supplémentaires et des naissances en moins par rapport à des périodes plus favorables : entre 1693 et 1695, cela représente 1,5 million ( sur 22 millions d’habitants). C’est le même nombre de morts que lors de la première guerre mondiale au XX° siècle, mais c’est moins qu’une épidémie.

En 1709 a eu lieu l’hiver le rude du PAG : pendant 18 jours, il a fait – 10° C à Paris. Ce record n’a jamais été battu depuis. Le froid a causé la mort des oliviers dans le midi ; les semailles de céréales ont été gelées. Beaucoup de gens sont morts de froid, faim et d’épidémies diverses, après une mauvaise année en 1708. C’est ainsi qu’il y a eu 800 000 habitants en moins cette année – là ( en comptant les morts et les naissances en moins) sur 22 millions d’habitants. C’est l’anticyclone sibérien qui a causé ce grand froid. Qu’est – ce qui a causé les températures extrêmes de 1693 et de 1709 ? Ce sont des époques où l’on a dénombré la plus faible quantité de taches solaires ( un minimum) : cela a – t – il une influence ?

Quel a été l’impact de ces deux catastrophes sur la fin du règne de Louis XIV ? Cela a causé de la misère mais une activité économique en hausse. Il ne faut pas oublier que la misère est aussi une conséquence des guerres, à cause de l’importance du budget des armées. En 1661 – 1662, il y a eu une famine en temps de paix relative : c’est le PAG qui en est la cause. Là aussi il y a eu un million de morts mais les effets de la crise ont été moins longs. Dès la fin de la famine, le souvenir s’en est effacé.

Colbert a développé l’économie dans un environnement conjoncturel favorable. En 1720 – 1729, le réchauffement est à son sommet ; cela favorise la reprise économique et démographique après 1712. Cette embellie va se poursuivre durant le Siècle des Lumières pour l’Europe et la Chine ; elle entraîne une évolution démographique. Un événement historique n’aurait pu avoir une telle conséquence sur deux pays aussi grands.

La Révolution Française est fille de la croissance économique et de quelques provocations climatiques : des étés chauds et des vendanges précoces qui ont provoqué de mauvaises ventes à cause d’une quantité trop importante. La pluie en 1787 a provoqué des semailles insuffisantes ; de plus ces semailles ont été victimes d’un coup de chaud durant l’été 1788 puis de la grêle. Tout cela explique la cherté du blé en 1788 / 1789 et la grande peur s’en est suivie, causant des émeutes paysannes, autour de la Bastille, le 13 juillet 1789. En 1848 aussi, il y a un lien entre le climat, les mauvaises récoltes et la révolution. En 1815, l’explosion d’un volcan à Tambara, en Indonésie, a produit une poussière qui s’est répandu sur le monde, c’est pourquoi il n’y a pas eu d’été en 1816 jusqu’en Europe et en Amérique. C’est à cause de la pluie que Mary Shelley a écrit Frankestein en Suisse car elle ne pouvait sortir !

L’effet de serre est dû à l’augmentation du CO2 depuis 1850 / 1860 ; il n’y a pas d’équivalent d’une telle augmentation depuis 200 000 ans, comme nous le montrent les stratifications de la calotte glaciaire de l'Antarctique. La courbe de la poussée est presque verticale. L’effet calorifique sur le XXI° siècle , selon la plupart des scientifiques, sera une augmentation de température comprise entre 1 et 2° C ( par rapport à un âge glaciaire). Au XXII° siècle, il y aura un risque pour la végétation. Il faut un siècle ou deux pour stabiliser le CO2 ; il y a donc des mesures d’urgence à prendre. La tempête récente est peut – être un signal. Dans les années 1850 / 1860, le réchauffement s’explique par la sortie du PAG ; en 1950, il est dû à l’effet du CO2 et du méthane.

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