« L’HOMME ET LE PAYSAGE : HISTOIRE DE LA PEINTURE DE PAYSAGE DU MOYEN AGE AU CUBISME ; OU DE SON ENVIRONNEMENT COMPOSE EN ATELIER AU PORTRAIT DE PAYSAGE »
Communication de Pierre Rouillac, le samedi 13 octobre 2001 (IUFM de Blois). P. Rouillac est commissaire priseur à Vendôme. Les phrases ou les mots entre guillemets rappellent les propos significatifs de l’auteur. A la fin du CR, une fiche permet d’apporter des précisions sur quelques artistes cités en exemple.

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Compte-rendu réalisé par Jacques Galhardo. 

Introduction

Pierre Rouillac précise, en introduction, son propos par une formule – titre : « histoire du paysage et art du paysage », qu’il inscrit dans un cadre chronologique un peu plus restreint : de la Renaissance au XXème siècle. Toutefois, il reviendra sur l’Antiquité et le Moyen âge. Il distingue alors plusieurs périodes :

 ·        le paysage comme art mineur : au XVème siècle

·        il devient un genre « autonome et particulier » du XVème au XVIIème

·        la peinture de paysage connaît son apogée entre le XVIIIème et le XIXème siècle.

 Le déjeuner sur l’herbe de Manet (1863) constitue alors une véritable révolution par la réintroduction du paysage comme objet majeur de la peinture. Manet conjugue cette peinture de paysage avec un nu féminin. En soi, cela n’est pas novateur, puisque d’autres avant lui avaient déjà peint des nus féminins dans la nature (cf. Cranach). Ce qui provoque le scandale, c’est la présence d’hommes habillés près du nu.

 1.      Qu’est-ce qu’un paysage ?

 a.      pour une grille d’analyse rapide…

 Le paysage se constitue de « terre et de végétaux plus ou moins plantés et plus ou moins animés (hommes, animaux…) », mais aussi «d’air ». L’artiste, comme l’amateur qui regarde se déplace dans l’ensemble, chacun donnant un « aperçu » (point de vue). L’axe de déplacement entre l’élément terrestre et aérien croise alors la ligne d’horizon qui demeure la seule variable possible dans une perspective toujours frontale. Cette ligne d’horizon finit par produire les règles classiques de la peinture de paysage : le 1/3 supérieur (ou inférieur) et la coupure par le milieu.

 P. Rouillac cite alors les toiles de Friedrich ou de Bruegel pour lesquelles le peintre s’installe tantôt sur les hauteurs d’une montagne, regardant vers le bas (scènes de chasse) ; tantôt dans une grotte, regardant vers « l’air » - cf. toiles de Vernet. Le point particulier peint et la situation de l’artiste sont étroitement liés. Quoiqu’il en soit, l’homme demeure prisonnier de la « terre ».

 Les progrès techniques (montgolfière, dirigeable, puis plus tard l’avion) vont libérer le peintre et l’homme de la « terre ». En 1947, Marini peint ce qu’il a vu à partir d’un avion : il est le premier. Dès lors, une période s’achève pour la peinture de paysage, puisqu’on est amené à prendre une certaine distance par rapport à ce dernier. Une question (déjà ancienne) resurgit  et s’affirme comme la nouvelle grande préoccupation des peintres de paysage : la lumière.

 b.      la lumière comme point de départ pour de nouvelles expériences picturales

 P. Rouillac rappelle que la question de la lumière est naturellement liée à celle de la couleur. Aussi offre-t-elle des services et des besoins différents.

·        la lumière peut irradier le paysage

·        elle peut également exprimer une direction sur la toile (cf. La Tour)

·        mais les artistes utilisent également la lumière comme « éclairage d’atmosphère » (il cite l’exemple du logo des Rendez-vous de l’histoire, avec la lumière de l’ampoule située sur l’extrémité du « h »)

 Dans tous les cas, elle reste une lumière extérieure qui incite les artistes à modifier le point de vue pour « regarder l’intérieur » de cette lumière. L’objectif étant de reproduire la chaleur et l’incandescence de la lumière.

 2.      De l’atelier, hors l’atelier…

 a.      rappels historiques

 De l’Antiquité grecque, il ne nous reste que la statuaire ! Pour Rome, il faut se tourner vers Pompéi. Dans ce cas, nous avons à faire à un art mural et monumental. Pour la période antique, la nature sert à « encenser le mythe ». Le paysage peut être secondaire ou remplir les murs. P. Rouillac note que moins de 20% des surfaces peintes à Pompéi représentent l’homme !

Au Moyen âge, le paysage est un objet figuratif, composé de rideaux, d’arbres simples, idéalisés, stylisés… P. Rouillac développe sa réflexion à partir de l’œuvre majeure des frères Limbourg : les Très Riches Heures du Duc de Berry (vers 1410/1489). Ici, « l’air » est libre, les hommes en action et le principe de l’observation s’impose. Une relation étroite entre l’homme et le paysage s’établit : le premier régule le second. L’émotion, enfin, est suscitée par la sensation de liberté et de plaisir de l’homme. P. Rouillac note, toutefois, que ce type de paysage a du mal à avoir son identité propre..

 A partir du XVème siècle, deux écoles vont voir le jour dans la peinture de paysage : le paysage composé en atelier et le paysage composé hors de l’atelier (que P. Rouillac appelle : « le portrait de paysage »).

 b.      le paysage composé en atelier

Il s’inscrit dans trois types de recherches de natures différentes : la première fait appel à l’esprit, la seconde à l’œil et la dernière à l’émotion.

 ·        l’appel à l’esprit : P. Rouillac cite les grands paysages classiques de la tradition française, très intellectuels. Il prend l’exemple de Poussin et de Le Lorrain. Chez Poussin, la répartition géographique des masses et des volumes concourre à l’expression du sujet. La nature est la « source quotidienne de son inspiration » : le rapport homme/nature reste secondaire. Poussin insiste non sur la « chose sue », mais « vue ». Le rapport est donc direct.

En opposant le « voir » au « savoir », Poussin se distingue des peintres de la Renaissance (Cranach et Vinci) qui peignent des paysages savants, sus, appris, imaginés… Pour ces derniers, le paysage constitue « l’arrière-fond de la lecture humaine » et la peinture se résume à une forme de communication. Poussin inverse le propos : le vu e(s)t le vrai ! La vision domine et il faudra attendre Cézanne pour découvrir un paysage à l’état brut.

Le Lorrain prolonge le travail de Poussin, mais il remplace la mythologie par des scènes pastorales, des ports... Sa recherche s’inscrit dans la problématique de la lumière (cf. plus haut) : elle est diffuse, du matin ou du soir. C’est une lumière d’atmosphère. Toutefois, P. Rouillac rappelle que Le Lorrain ne peint que des paysages (à la différence de Poussin) : les figures situées sur ses toiles ont été réalisées par ses élèves pour répondre à une demande. Il rappelle également que l’usage et la généralisation de l’huile permet d’enfermer la lumière. Le paysage peint perd sa fonction décorative et n’est pas pour autant pittoresque : la technique du glacis donne la primauté à l’esprit et à la poésie.

Malgré ces choix, le débat existe : Philippe de Champaigne tente une conciliation avec l’art flamand, non sans un certain maniérisme. Gainsborough, tout comme Largillière, limite le paysage à un fond de verdure (spécificité de l’école anglaise, mais aussi faire-valoir…). Le paysage continue, malgré tout, d’illustrer et de décorer.

·        l’appel à l’œil… Avec Watteau, c’est la découverte du sentiment qui surgit dans l’approche du paysage. Celui-ci constitue un arrière-plan plein de mélancolie (cf. L’embarquement pour Cythère – 1717). Watteau est attiré par le caractère éphémère de la nature. Mais comme chez Boucher, le paysage est encore un décor.

P. Rouillac note encore l’intérêt de Fragonard pour la nature et le paysage. Il s’inscrit dans le goût prononcé pour la nature romaine (en vogue au XVIIIème et au début du XIXème siècles). La peinture italienne aborde, alors, le paysage dans une sorte de « clignement d’œil » porté sur la réalité. Ce qui compte, au fond, c’est encore le paysage et le panorama.

·        l’appel à l’émotion et à l’âme… Les toiles de Gros explorent l’univers des émotions par des choix proches de la peinture allemande : atmosphères lunaires (jamais solaires), sécheresse du paysage… Des pistes qui annoncent le romantisme. En tentant de capter la « fuite du temps » dans un contexte de retour aux sources (cf. Géricault, Delacroix ou Courbet), les peintres expriment la volonté de quitter l’atelier. C’est l’époque de la découverte du Maroc, le début de la mode orientale, initiée par les dessins et croquis élaborés hors de l’atelier.

 c.       le portrait de paysage

 ·        le paysage pittoresque

Il s’inscrit dans une réaction à l’académisme de David. Les artistes sont à la recherche d’une peinture « de la petite manière », par opposition à la « grande peinture ». Les toiles sont plus réduites et les paysages sont ceux que l’on trouve à proximité, autour de soi. Le pittoresque s’oppose au sublime. On assiste à la multiplication des peintres dans chaque ville. P. Rouillac évoque alors « ces peintures de paysages que nous avons tous chez nous »… Au XIXème siècle, les paysages des peintres français cessent d’être italiens. Ils s’approprient le paysage français.

Remarque de P. Rouillac : l’orientation traditionnelle des peintres varie globalement selon les siècles : au XVIème siècle, c’est Rome ; au XVIIème siècle, la Méditerranée ; au XVIIIème siècle, l’Italie ; au XIXème siècle, l’orient et la Chine.

Avec le peintre anglais, Bonington, les formes accidentelles du paysage sont privilégiées, la ligne d’horizon est déplacée. L’usage de l’aquarelle constitue une autre révolution apportée par les Anglais, au XVIIIème siècle (elle arrive en France au XIXème siècle). Auparavant, l’aquarelle était utilisée pour les rehauts. Dès lors, le paysage se transforme : c’est l’anecdote qui prévaut, l’art du vivant, de l’éphémère…

Mais l’aquarelle ouvre également un autre horizon : celui du blanc qu’on laisse et/ou qu’on travaille. Autre révolution majeure : montrer que le siècle est en mouvement. Corot va dans la nature peindre le paysage comme une nature morte. Certes, mais le paysage est toujours incapable de se libérer de ses références (le portrait !). Il n’existe pas pour lui-même.

 ·        l’impressionnisme

Le sujet est moins important que l’éclairage. Il est décliné dans une même journée, une même année…C’est l’éclairage qui compte. On s’intéresse au reflet et cet intérêt conduit inévitablement vers l’éclatement de la forme, l’explosion de la lumière… Avec Cézanne (cf. La montagne Sainte Victoire – 1904/1906), la voie du cubisme est ouverte. On y trouve déjà l’angle, la géométrisation… On tend ensuite vers l’abstraction avec Monet (cf. Les Nymphéas 1899/1910).

L’impressionnisme se veut peinture de série. Le peintre engage un corps à corps avec le paysage peint (et qu’il peint – cf. Van Gogh). P. Rouillac évoque, enfin, Pollock qui après avoir vu les indiens (Navajos) peindre, marche sur sa peinture et la laisse dégouliner…

Conclusion

Pierre Rouillac conclut rapidement sur le retour en force du paysage avec la lecture d’un article du Monde qui évoque la FIAC 2001. Mais aussi sur le film d’Eric Rohmer : L’Anglaise et le Duc, dans lequel les paysages reconstitués défilent en arrière plan des scènes du film.

Additif réalisé par Jacques Galhardo

Ce Travail personnel me paraissait utile : P. Rouillac a fait appel à "notre connaissance" en matière de peinture faute de pouvoir projeter des diapos (ou des transparents), le tableau que j'ai fait a 3 objectifs :
 1. mettre des paysages peints derrière des mots qui ne les citent par expressément (sinon, ils apparaissent dans le compte-rendu) ...
2. apporter quelques précisions concernant les auteurs et leurs oeuvres (et l'on remarque que les limites géographiques et temporelles de P. Rouillac sont plus resserrées qu'il ne le disait... En particulier, il fait l'impasse sur la peinture flamande ou espagnole - plus largement, à part l'évocation de Pollock, on pourrait se demander si la peinture de paysage est une particularité de l'Europe maritime ? La réponse est non, naturellement !)
3. rappeler que certains de ces auteurs sont déjà utilisés dans les manuels scolaires ou pourraient l'être... A l'heure où des réformes se mettent en place autour de projets pluridisciplinaires ou des PAC (en arts plastiques), quelques références peuvent être intéressantes.
 

Peintres

(dans l’ordre du CR)

Naissance et décès

Œuvres sur lesquelles P. Rouillac a pu s’appuyer ou d’intérêt pédagogique divers

Edouard Manet

1832 – 1883

Le déjeuner sur l’herbe (1863 – Paris)

Le balcon (1868/69 – idem)

Lucas Cranach

1472 – 1553

La chasse de l’électeur Frédéric le sage (1529 – Vienne)

Vénus dans un paysage (1529 –  Paris)

Caspar David Friedrich

1774 – 1840

La croix sur la montagne (1808 – Dresde)

Pieter Bruegel

1525 – 1569

Les chasseurs dans la neige (1565 – Vienne)

Le triomphe de la mort (1562/63 – Madrid)

Joseph Vernet

1714 – 1789

 

Georges de La Tour

1593 – 1652

Saint Sébastien (1649)

Les frères Limbourg

XVème s.

Les Riches Heures du Duc de Berry (vers 1410/89 – Chantilly)

Nicolas Poussin

1594 – 1665

L’été (Ruth et Booz) (1660/64 – Paris)

La peste d’Aroth (1630/31 – idem)

Le Lorrain (Claude Gellée)

1600 – 1682

Port avec villa Médicis (1637 – Florence)

Paysage avec figures dansantes (1648 – Rome)

Léonard de Vinci

1452 – 1519

Sainte, la vierge et l’enfant (1510 – Paris)

Paul Cézanne

1839 – 1906

La montagne Sainte Victoire (1904/06 – Philadelphie)

Les grandes baigneuses (1898/05 – idem)

Philippe de Champaigne

1602 – 1674

Le cardinal de Richelieu (1635 – Paris)

Thomas Gainsborough

1727 – 1788

Mr et Mrs Andrews (1750 – Londres)

Bois de Cornard (1748 – idem)

Nicolas de Largillière

1656 – 1746

L’Ex-voto à Sainte Geneviève (1696 – St Etienne du Mont)

Jean Antoine Watteau

1684 – 1721

L’embarquement pour Cythère (1717)

François Boucher

1703 – 1770

Le triomphe de Vénus (1740 – Stockholm)

Jean Honoré Fragonard

1732 – 1806

Le verrou (1776/80 – Paris)

Antoine Gros

1771 – 1835

Le champ de bataille d’Eylau (1808 – Paris)

La bataille des pyramides (1810 – Versailles)

Théodore Géricault

1791 – 1824

Officier de chasseur à cheval chargeant (1812 – Paris)

Eugène Delacroix

1798 – 1863

La liberté guidant le peuple (1830 –  Paris)

Les massacres de Scio (1823/24 – idem)

Jacques Louis David

1748 – 1825

Le sacre de Napoléon (1805/07 – Paris)

Serment du jeu de paume (dessin – 1791 – Versailles)

Gustave Courbet

1818 – 1877

Les cribleuses de blé (1855 – Nantes)

Enterrements à Ornans (1850 – Paris)

Richard Bonington

1802 – 1828

Scène côtière en Normandie (1829 – New York)

Camille Corot

1796 – 1875

Matinée, une danse des Nymphes (1860 – Paris)

Vincent Van Gogh

1853 – 1890

Les mangeurs de pommes de terre (1885 – Amsterdam)

La plaine de Crau (1888 – idem)

Claude Monet

1840 – 1926

Impression soleil levant (1872 – Paris)

Nymphéas (1899/1910 – idem)

Jackson Pollock

1912 – 1956

Echo (1953 – New York)

Black and White (1948 – New York)

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