« L’HISTOIRE PLANETAIRE DE L’HUMANITE ET
L’HISTOIRE HUMAINE DE LA PLANETE »

Conférence d’Edgar Morin (sociologue), samedi 13 octobre 2001, dans la salle de la Halle aux Grains (Blois). Les mots et les phrases entre guillemets rappellent les propos significatifs ou les citations d’Edgar Morin.

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

L’expression « histoire planétaire » fait allusion aux paroles de K. Marx : « les sciences de la nature embrasseront les sciences de l’homme et les sciences de l’homme embrasseront les sciences de la nature ». Y a – t – il une fin de l’histoire ( au sens d’une série de récits progressifs vers un plus grand épanouissement) ? Cette question a été posée dans les années soixante. Or à cette époque même, il y a eu une irruption de l’histoire dans le cosmos  ( la théorie du big bang par exemple nous montre une histoire fantastique : dès le début de la matière, cela commence par une destruction de l’anti – matière, c’est à dire par une déflagration, la désintégration d’un soleil d’où est sorti le nôtre). Au XIX° siècle les théories évolutionnistes de Lamarck et de Darwin ont conduit à une histoire non plus linéaire mais « buissonnante » et à une histoire de la terre. Les années soixante ont vu l’unification des sciences de la terre ainsi que la découverte des hominiens : c’est donc une époque charnière. Cela a entraîné une histoire systémique de la terre. Ainsi la tectonique des plaques considère la terre comme une entité complexe à partir d’un agrégat de détritus cosmiques qui s’organisent ( noyau, manteau) au cours d’une histoire qui a vu l’évaporation de l’eau, des mouvements latéraux etc… L’apparition de la vie est due à un tourbillon de macromolécules qui a donné la vie à la surface des eaux , ou à des macrobactéries issues du profond des mers. Grâce à nos cellules, nous portons en nous les mêmes racines, les mêmes troncs que les premières cellules de la vie. Nous portons en nous l’histoire de la terre.

L’histoire de la terre n’est pas seulement physique mais aussi bio – physique. C’est une formation buissonnante qui a donné naissance à des écosystèmes. Il y a une interaction entre les différents êtres vivants ; il y a donc une organisation spontanée malgré l’absence de pouvoir de décision, par élimination ( système des prédateurs eux – mêmes victimes d’autres prédateurs : c’est le cercle de la vie ou de la mort). L’écosystème forme la biosphère dès l’époque secondaire. L’histoire événementielle est importante dans l’histoire de la terre ( par exemple l’extinction des dinosaures : c’est à cause d’un météore qui a provoqué un brouillard qui a entraîné un problème de végétation ; ainsi les herbivores sont morts et leurs corps fournissent de quoi vivre à d’autres espèces : c’est probablement ce qui a permis l’apparition des mammifères). 

            Qu’est – ce qui provoqué le surgissement de la bipédie ? Y. Coppens a trouvé des bipèdes dans la savane car la régression de la forêt tropicale a fait place à un milieu nouveau, avec moins de facilités ( bananes, noix de coco…). Les chimpanzés ont été obligés de créer des armes pour chasser ; ils ont été contraints à la bipédie pour courir etc… C’est le défi d’un milieu brusquement hostile qui a entraîné la bipédie. Cependant on a trouvé aussi un bipède forestier ; cela montre que le problème est complexe. Aujourd’hui nous avons des explications historicisées : nous ne croyons plus au surgissement d’un homme intelligent qui crée des outils ; nous recherchons les conditions et les causes de ce surgissement. Dans la dialectique du pouce et du cerveau, c’est la libération du pouce qui a permis la création d’outils et a entraîné le processus d’hominisation. Le langage à double articulation est – il apparu avec ou avant l’homo sapiens ? L’intelligence a – t elle suivi ou précédé le langage ? Le rôle de la culture est capital pour l’évolution vers le sapiens. La disjonction entre nature et culture n’a pas de sens. L’homme est totalement biologique et totalement culturel ( symboles, outils, savoirs, mythes, croyances…). L’émergence de l’esprit à partir de l’interaction entre l’intelligence et la culture ( langage) a permis le conscience humaine, la réflexion, tout ce qui caractérise l’humanité.

            Le problème de l’autonomie est inconcevable dans une relation de dépendance avec l’environnement, aussi bien pour l’homme que pour l’animal. L’être gaspille de l’énergie même en dormant ; il doit donc s’alimenter  et il est dépendant de son environnement. En ce qui concerne les premières sociétés humaines : les néandertaliens ont – ils disparu à cause de massacres, ou à cause de bactéries ou des virus contre lesquels les homo sapiens étaient immunisés et qui les ont donc épargnés ? La même question se pose à propos des Mayas : ont – ils tous été tués, ou ont – ils été victimes de bactéries ou de virus ? Les premières sociétés sont des sociétés de ramasseurs – cueilleurs, sans état, vivant dans leur milieu sans le dégrader, nomadisant en cas de problème. Elles sont adaptées à leur environnement, ce qui explique la différentiation  des mœurs et des techniques ainsi que des langues. Il y a un même langage ( à double articulation) pour tous les hommes mais des langues différentes.

            Il n’y a pas eu de transformation de la nature avec les sociétés archaïques, mais seulement avec l’histoire, il y a environ 6000 ans : cultures, sédentarisation dans des villages, domestication du cheval, bétail… Le galop du cheval a permis la formation des états car, grâce au cheval, on peut parcourir et donc contrôler de longues distances et maîtriser des populations. Le cheval facilite aussi l’approvisionnement et aussi le contrôle des matières premières, ce qui conduit à des guerres pour se les accaparer.

            L’histoire est liée à la transformation de la nature : domestication des animaux, exploitation agricole, création d’empires ( qui créent des travaux hydrauliques , des barrages etc…). Les communications impliquent aussi le transport des bactéries et des virus ( peste, choléra…).  La seconde planétarisation a eu lieu dans le monde eurasiatique ( par exemple la cerise est partie d’Asie et conquiert l’Europe car c’est le même climat) : elle entraîne l’exportation des techniques et des ressources agricoles. Le papier, l’imprimerie et la boussole sont exportés vers l’occident. En 1492, on se rend compte de l’univers autour de soi ; cela améliore la connaissance du monde. La seconde planétarisation unifie les microbes ; ils se dispersent partout et touchent des peuples non immunisés ( Amérique, Chine…). En 1941, les troupes allemandes sont immobilisées devant Moscou par l’hiver, permettant ainsi la contre – offensive russe : cela montre l’importance du climat.

            Avec l’esthétisation de l’environnement va se dégager la notion de paysage ( humanisé ou naturel). Plus on se détache de la nature, plus on s’en rapproche affectivement ( voir J.J. Rousseau). L’urbanisation, l’exploitation intensive des mines, l’agriculture intensive ont provoqué, en réaction, une prise de conscience écologique. L’humanité est partie intégrante de la biosphère, en en prenant possession, mais elle risque aussi d’en causer la désintégration. Il y a une prise de conscience de ce phénomène. Le destin  de l’humanité est planétaire ; il est lié à la globalisation, à la planétarisation. Le terrorisme aussi s’est globalisé : on en a pris conscience il y a peu, mais cela a commencé il y a quelques temps déjà ( avec la dissémination de l’arme nucléaire par exemple). Nous sommes au bord du gouffre. L’homme prend de plus en plus sa place dans l’histoire de la planète. Il y a nécessité d’un pilotage : l’écologie et la régulation, naturelle. Sommes – nous dans un vaisseau sans pilote ?  Dans un bateau ivre, poussé par l’économie, la science, les techniques et le profit ?

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