Les dieux se fâchent; les catastrophes naturelles.
DEBAT  « NOTRE HISTOIRE » 

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Compte-rendu réalisé par Isabelle Didierjean

Les deux grandes peur de l’homme sont le feu (associé au Jugement dernier : « Dieu viendra juger par le feu… ») et l’eau. En ce qui concerne la peur de l’eau, les mythologies s’en font l’écho. Ainsi, chez les Mésopotamiens, la terre est plate, elle flotte, protégée par un couvercle, le ciel ; au – dessus du ciel, il y a également de l’eau ; celle – ci est donc partout et elle cause de grandes peurs à cause de son caractère inexorable. Même chose en Grèce où Poséidon représente l’eau et les tremblements de terre car les eaux souterraines provoquent des raz – de – marée. Dans la mythologie des Mésopotamiens, les hommes font du bruit, ils sont insupportables et dérangent les dieux ; c’est pourquoi ceux – ci ouvrent les écluses du ciel pendant sept jours. Chez les Amérindiens aussi, on retrouve la même vision : les hommes font des choses qui ne plaisent pas aux dieux. Dans les deux cas, aussi bien chez les Mésopotamiens que chez les Amérindiens, certains hommes s’en sortent. Chez les Mésopotamiens, c’est un faux ami des dieux qui indique aux hommes comment survivre, grâce à une embarcation, comme dans le récit biblique. Cette embarcation flotte pendant sept jours. Durant cette période, il n’y a plus de sacrifices pour les dieux. C’est pourquoi, quand les rescapés font un premier sacrifice, les dieux se précipitent ! Le récit concernant Noé existait donc aussi ailleurs et il a été influencé par la Mésopotamie. En Inde également, il y a un mythe semblable : la terre se révolte et tremble pour se débarrasser des hommes afin de tout recommencer en mieux. Dans la tradition juive, la Bible est le récit d’une recréation : en effet la Genèse raconte la création puis la destruction et enfin la recréation. C’est le constat implicite ( rendu explicite par les commentateurs) de l’imperfection du monde créé par Dieu. Ne subsiste que ce qui est nécessaire pour que cela reparte ensuite. Ces récits nous racontent la toute puissance divine mais ils témoignent aussi d’une relative impuissance de Dieu dans sa création. Cela pose le problème du mal. Dieu crée le monde mais aussi sa face sombre, le mal.

            Le Déluge est l’illustration  de deux dimensions de la divinité : la justice et la miséricorde. Dieu exige la justice envers lui et envers les autres hommes ; par conséquent il y a une sanction en cas d’injustice : c’est la cause du Déluge. Mais la miséricorde limite la punition : Dieu ne détruit pas tout, il donne aux hommes une deuxième chance et il s’engage à ne pas recommencer. Il n’y a pas de sanction totale. La miséricorde prend donc le pas sur la justice grâce à l’alliance entre Dieu et les hommes. Il reconnaît à sa création le droit à une relative imperfection. Il y aura d’autres châtiments ou sanctions par la suite mais qui ne mettront pas la création en péril comme le Déluge. Il y a toujours la  menace d’une sanction de l’injustice : terre désertique, Sodome et Gomorrhe etc … Mais une limite est posée à la sanction. La miséricorde l’emportera toujours. Si la justice l’emportait, le monde serait détruit : c’est clairement dit. Dieu pose lui – même une limite à sa toute puissance.

            En ce qui concerne les rapports de l’homme avec la nature, on ne peut dire que le récit du Déluge appelle l’homme à respecter la nature. En effet elle est donnée à l’homme pour qu’il la domine, pour qu’il s’en serve (il ne s’agit pas du tout d’une idolâtrie de la nature). Les désordres naturels et surnaturels ne sont pas des sanctions pour un crime commis par l’homme contre la nature. Celle - ci ne fait pas payer l’homme parce qu’il s’est montré injuste envers elle. C’est une sanction à cause d’une injustice contre Dieu ou ses semblables. C’est un appel à respecter la loi divine. Noé est un nouvel Adam. Dieu passe une alliance avec Noé et, à travers lui, avec l’humanité. Les sept commandements sont le résultat de cette alliance. Les descendants de Noé sont liés par cette alliance et peuvent se sauver en respectant l’alliance et les sept commandements. Les dix commandements ont été révélés seulement pour les Juifs (il s’agit de dix commandements parmi 613) ; tandis que les sept concernent tous les hommes, y compris les non juifs. Cela revient à accorder un statut religieux aux non juifs. Tous les humains peuvent avoir l’espoir d’un salut. Il n’y a pas besoin de se convertir au judaïsme pour être sauvé ; il n’y a donc pas de prosélytisme. L’alliance passée avec Noé n’est pas abolie par celle passée avec Israël. Noé préfigure Abraham. C’est un juste, il marche à côté de l’Eternel. Mais est – il juste en soi ou par rapport à ses contemporains ? Est – il aussi juste qu’Abraham ? Ces deux questions sont posées par les commentateurs. En fait, Abraham va devenir le personnage central de la tradition juive. Il y a une différence d’interprétation entre l’idée de l’universalité d’un enseignement et celle d’un privilège accordé à un peuple. La première de ces idées est incarnée par Noé et la seconde par Abraham.

            La traduction latine du mot hébreux pour désigner l’arche est « arca » (c’est – à – dire « coffre de bois », « sarcophage »), c’est pourquoi l’arche est parfois représentée comme un coffre rectangulaire, c’est – à – dire un tombeau, qui flotte et qui, au bout de quarante jours, laisse sortir Noé tout jeune. En effet il sort de son tombeau et ressuscite : il y a déjà en lui l’image du Christ dans la tempête du monde, qui passe par la mort pour ressusciter ensuite, avec un oiseau, la colombe.

            L’angoisse face au Déluge s’explique par le fait que l’eau est un élément ambigu : c’est le symbole de l’épreuve et de la résurrection, tout comme l’eau est à la fois destruction et vivification. On retrouve donc ces deux dimensions : la mise à mort et la renaissance.

            Au Moyen – Age, l’eau est un élément lourd mais qui peut quand même venir d’en haut, ce qui renforce son aspect angoissant. L’eau a une signification symbolique ; c’est une allégorie typologique chez les Chrétiens : elle symbolise le salut. On peut penser aussi à l’image du Christ sauveur.. L’arche représente l’Eglise dans un monde dangereux ; pour être sauvé, il faut être dans l’arche, donc dans l’Eglise. Le récit est ambivalent : l’angoisse côtoie la « désangoisse » par la promesse qu’il n’y aura pas de second déluge. L’arc – en – ciel offre l’image d’une paix signifiée chaque jour ; du point de vue théologique, il permet de dédramatiser. Le salut est à venir dans l’exégèse chrétienne, par la rédemption christique. C’est dans la prédication que s’est faite la dramatisation  du thème du Déluge, au moment de la Renaissance : ainsi Calvin a écrit cent pages sur le Déluge. En effet les prédicateurs rappellent que la destruction a été causée par la surabondance de péchés et ils disent toujours que la situation aujourd’hui est au moins aussi épouvantable qu’au moment du Déluge ! L’idée de la perversité humaine ( qui s’accompagne de la pensée que les choses deviennent toujours pires) entraîne la perspective d’un nouveau Déluge, malgré le texte de la Bible lui – même. Ainsi les catastrophes naturelles, comme les gelées, les pluies et tout ce qui met en danger la survie, sont considérées comme le signe posé par Dieu de notre culpabilité collective et personnelle. Il y a donc une charge angoissante autour du récit du Déluge et de la place de l’homme dans une nature hostile. En 1524/25, la conjonction de toutes les planètes dans le signe du Poisson (signe d’eau) a créé une culpabilisation, entretenue par la dépendance envers la nature : les astrologues ont parlé d’un nouveau Déluge. Pourtant cette idée est fausse théologiquement, mais cette période troublée ( guerre de religion en Allemagne etc…) était favorable à l’ angoisse. La forte interrogation sur le Déluge a encouragé les scientifiques à s’y intéresser eux aussi. Le rôle de la science, dans l’exégèse comme dans d’autres domaines, est de recenser, analyser, questionner voire prévoir.

            La catastrophe introduit une rupture dans une continuité. Entre le Déluge et une inondation, quelle différence y a – t – il ? La notion de culpabilité. Comment survivre quand tous les éléments se dispersent et se confondent ? Comment comprendre et décrypter le chaos, l’imprédictible ? Darwin lui aussi s’est intéressé au Déluge. C’est seulement au XVIII° siècle qu’on a découvert la tectonique, le mouvement des montagnes ( qui explique la présence de fossiles de poissons en haut de certaines montagnes) etc…

            Dans certaines traditions, on dit que Dieu s’y est pris une dizaine de fois pour créer l’univers ; il y aurait donc d’autres mondes détruits. Pantagruel est un géant ; or comment peut – il y avoir des géants après le Déluge qui a vu leur disparition ? Rabelais imagine une race de bons géants qui a survécu. Chez Rabelais, le liquide, c’est le vin. C’est l’eau inventée par Noé ( c’est une tradition connue de Rabelais). La nouvelle humanité présentée poétiquement par Rabelais à travers Pantagruel constitue une réflexion sur le Déluge en plein XVI° siècle. Le vin est aussi lié à l’alliance. Noé est un homme de la terre; le réenracinement dans la terre après le Déluge passe par la vigne et le vin. Le vin réjouit ; il fait partie du cérémonial religieux : c’est une offrande. Satan a voulu aider Noé dans son entreprise en sacrifiant une brebis, un lion, un singe et un porc. Ainsi quand on boit un verre de vin, on devient doux comme une brebis ; avec deux verres, on devient fort comme un lion ; avec trois verres, on devient une caricature d’homme, c’est – à – dire un singe ; enfin avec quatre verres, on se vautre dans la fange comme un porc.

            Le Déluge représente aussi une angoisse de la régression ( avec l’idée du liquide amniotique). Mais le thème de la survie déborde le cadre de la psychanalyse. Il y a la même image dans le personnage de Moïse sauvé des eaux : il est mis dans une arche mais il est sauvé grâce aux eaux du Nil. La Mer Rouge aussi représente le salut pour les Hébreux, tandis qu’elle entraîne la noyade pour les Egyptiens. Ces souvenirs sont aussi forts pour nous que de notre passé amniotique. Les passages de la Bible qui parlent de l’eau qui tue et qui vivifie sont lus avant le baptême. Toutes ces eaux se correspondent car elles sont ambivalentes.

            Les sept commandements : -    institution d’un système juridique et respect de la loi ;

-   interdiction du blasphème ;

-   interdiction de l’idolâtrie ( multiplicité des dieux, représentation du corps, incarnation de Dieu, ce qui pose un problème avec le Christianisme ; mais aujourd’hui les Chrétiens ne sont plus considérés comme des païens) ;

-   interdiction des transgressions sexuelles ( inceste et adultère) ;

-   interdiction du meurtre ;

-   interdiction du vol ;

-   interdiction de consommer un membre arraché à un animal vivant ( problème : les huîtres !).

Une autre lecture de ces sept commandements est possible, à savoir que ces préceptes doivent être suivis avec l’idée qu’ils sont révélés par Moïse dans le cadre de son alliance avec Dieu (Moïse raconte l’histoire de Noé) : cette lecture est plus restrictive.

En ce qui concerne les relations entre l’homme et l’animal, il faut rappeler que dans l’arche tous les animaux ont leur place, même ceux qui nous font peur. La recréation nécessite la présence de tous ces animaux. Cela pose le problème de la définition de l’humain et de l’animalité. Il y a une solidarité entre ces deux ordres, alors que le végétal, lui, pousse tout seul. Les animaux sont donc châtiés ou sauvés avec l’homme. Avant le Déluge, l’homme était herbivore ; après le Déluge, il devient carnivore car il a le droit de manger la chair animale. Le Déluge pose donc le problème des rapports entre l’homme et les animaux, autant qu’entre l’homme et Dieu.

En Hollande au XVII° siècle, la richesse du pays était due aux terres gagnées sur la mer. Or un ver pouvait menacer les digues en bois. Sa prolifération a donc été utilisée comme une menace par les prédicateurs de ce temps. Dans les natures mortes, les richesses sont représentées, mais aussi la peur de la mort qui est omniprésente à cette époque.

Le Déluge a représenté l’angoisse ou le réconfort selon les époques. Les textes peuvent être lus dans un sens ou dans un autre.

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