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1999 des RDV de l'Histoire de Blois |
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Compte rendu de la conférence de Michelle PERROT tenue à l'hémicycle de la Halle aux Grains ( 16h, samedi 23 Octobre 99 )
"FEMMES ET NOURRITURES" |
Michelle Perrot souhaite aborder ce thème à travers 3 ouvertures :
1) Les représentations de la
nourriture et de la femme face à ces nourritures
2) Les pratiques de ces
nourritures
3) Les désordres de la nourriture liés aux femmes
(95 % des cas d'anorexies sont féminins ..)
Dans un premier temps M Perrot fait appel à
l'anthropologue Françoise Héritier qui analyse la femme en 3
représentations liquides (sang, sperme et lait) , l'absence de
l'un provoque le manque de pneuma ( de souffle ) et M Perrot rappelle les
menstrues et leur interruption pendant la grossesse. On redoute l'excès ; la
femme doit suivre un régime car si les hommes sont associés au vin et à la
viande, les femmes sont associées aux aliments végétaux et lactés.
La
femme goinfrée n'est pas féminine, mais cela dépend des époques. Comme le
rappelle JL Flandrin pour les 17/18ème siècles, la femme aux formes généreuses
dépend d'un système alimentaire. Par opposition à l'époque victorienne, la
SOBRIETE est le modèle retenu, la femme doit manger peu, une femme aisée
PICORE elle a des manières de table. une jeune anglaise bourgeoise prend
en dégoût la nourriture ..
Car dans son rôle de Matrice reproductrice, la
femme reçoit la graine, son sang ne coule plus elle nourrit un être humain,
elle ne doit pas commettre d'excès ..( certaines nourritures peuvent influer sur
le sexe des futurs enfants).
Pour Rousseau par exemple avec Julie et la
Nouvelle Héloise qui fut un best seller à l'époque, le devoir d'une bonne mère, c'est d'allaiter son enfant.
Puis M .Perrot prend l'exemple de Balzac avec les
"2 jeunes mariées ", l'une digne d'éloges, l'autre à proscrire ..
Au 19
ème siècle, la perception bourgeoise évolue :
Le docteur PINARD, le bien
nommé, incite à l'allaitement mais les mères bourgeoises confient leurs
nourrissons aux NOURRICES en distinguant les enfants à EMPORTER et
nourris par exemple dans le MORVAN. La nourrice doit avoir les cheveux bruns ..
, les mamelles à veines bleuâtres, on peut dire que le lait des femmes du
peuple a été drainé vers la ville.
Les nourrices peuvent être aussi sur
lieu ; à la maison des bourgeois (la vie mondaine a ses contraintes) .
Dans cette perspective le SEIN féminin devient l'attribut de la femme
nourricière et rien d'autre, Chaumette au procès d'Olympe de Gouges affirmera
que la nature marque le corps, quant à Proudhon il affirmera qu'il trouve
aussi grotesque qu'une femme soit législateur qu'un homme soit nourrice!
Et c'est Daumier qui fait de Marianne une femme à 2 seins magnifiques.
Bref la femme doit nourrir les enfants et se peu nourrir elle même
!!!
Dans ces conditions quelles sont les pratiques ?
Une
bonne ménagère doit savoir mettre le pot au feu, n'est ce pas ?
Dans
les classes populaires les femmes vont travailler éventuellement à
l'usine de 12 à 20 ans puis ont des enfants et se mettent en quête de la
nourriture.
Jusqu'en 1832, les femmes ont été souvent condamnées pour
délit de fagot car elles recherchaient de la nourriture dans les bois, les
femmes recherchent et se privent .. la VIANDE ET LE VIN au mari, elles se
gardent le café !!! Elles sont sous alimentées
Elles font la queue,
connaissent les prix et sont les EMEUTIERES au 19ème siècle ( M Perrot
cite Arlette Farge ). Les transports à la fin du 19ème siècle vont changer les
choses, le rôle des femmes va changer, mais elles seront toujours qualifiées
d'hystériques lorsqu'elles descendront dans la rue pour protester comme en 1911
pour la pénurie d'oeufs à Paris par exemple.
Chez les bourgeois, la
femme est la maîtresse de maison, elle ordonne sa table, elle a une cuisinière.
Mais les cuisinières sont destinées aux traditions familiales,
pas aux
grandes cuisines car là on a des CHEFS
( les anciens officiers de bouche des
rois ), les femmes sont dépossédées de leur savoir. Les grands repas sont
servis par des hommes (sommeliers, serveurs etc ..).
C'est la MERE
lyonnaise ou la gargottière qui fait de la restauration lyonnaise un hommefemme
cuisinier
Bref le rôle des femmes dans les pratiques a évolué au 19ème
siècle .
Qu'en est-il des désordres de l'alimentation féminine ?
Les femmes pratiquent des REGIMES car la boulimie confine à l'embonpoint,
chez les bourgeoises seulement car faire un régime est UN LUXE, les
pauvres ont faim et mangent mal et gras ..
Mais pour les femmes, on décèle
l'anorexie comme une maladie seulement en 1873, et M Perrot de prendre les
exemples de Catherine de Sienne, d'Elisabeth d'Autriche et de Simone Weil,
ainsi que celui de Thérèse de Lisieux qui se mortifiait car coupable d'excès
face aux désordres du monde. Il y a de nos jours tyrannie de la minceur,
la femme doit se débarrasser de ses rondeurs, il y a tyrannie de nos jours du
top model et cela maintenant pour toutes les femmes, à condition d'adhérer à
ces modèles et d'avoir les moyens de faire ces régimes, pour être quoi ?
Puis M.Perrot répond à des questions de la salle concernant l'allaitement
qui est redevenu hygiéniste; elle évoque le livre ultime d'Emile Zola intitulé "
FECONDITE " où Zola faisait un plaidoyer nataliste fort... ce qui permet de
relativiser pour certains les idées qu'on peut se faire sur d'autres...
J-F. LE BORGNE
voir : Faim et ravitaillement